L’échange des princesses

1721. Une idée audacieuse germe dans la tête de Philippe d’Orléans, Régent de France… Louis XV, 11 ans, va bientôt devenir Roi et un échange de princesses permettrait de consolider la paix avec l’Espagne, après des années de guerre qui ont laissé les deux royaumes exsangues. Il marie donc sa fille, Mlle de Montpensier, 12 ans, à l’héritier du trône d’Espagne, et Louis XV doit épouser l’Infante d’Espagne, Anna Maria Victoria, âgée de 4 ans. Mais l’entrée précipitée dans la cour des Grands de ces jeunes princesses, sacrifiées sur l’autel des jeux de pouvoirs, aura raison de leur insouciance… 

C’est la première fois que vous mettez en scène le livre de quelqu’un d’autre. Pourquoi avez-vous eu envie d’adapter L’Echange des princesses de Chantal Thomas ?
J’ai beaucoup de goût pour l’histoire. Cette histoire-là m’était d’autant plus proche qu’enfant, je lisais beaucoup de livres sur le XVIIIème. Cet épisode de l’échange des princesses est très original, en particulier concernant le traitement des enfants, cette cruauté vis-à-vis d’eux. Et la façon dont ils essayent de s’en sortir.

Tout cela n’est pas très loin de mon univers habituel, largement consacré à la manipulation politique. Ces gamins aussi sont littéralement manipulés, par des adultes qui eux-mêmes ne sont pas vraiment des adultes. Les jeunes aristocrates princiers étaient élevés dans la grandeur tout en étant maintenus dans un statut assez infantile : celui de rester des enfants qui jouent à la guerre parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Ce qui explique en partie le déclin de la monarchie. Dans le film, on voit bien qu’elle est, déjà très agonisante.

D’emblée, votre film s’ouvre sur la fin d’un monde, avec l’omniprésence de la mort, dans un Versailles en ruine.
Ce rapport à la précarité a été fondamental dans mon désir de faire ce film. Au XVIIIème siècle, l’omniprésence des épidémies comme la peste ou la variole induisait un rapport à la vie très particulier. La probabilité n’était pas de vivre au moins jusqu’à soixante-dix ans comme aujourd’hui, mais d’être mort avant trente-cinq ans.

Cette menace constante de la mort explique aussi l’importance de la religion, qui offrait un lien entre la vie éternelle et cette vie terrestre si éphémère... Quand Philippe V dit à l’infante que la vie et la mort ne sont qu’une seule et même chose, c’est un concept qui est à la base de la religion, pour rassurer les vivants face à la mort. J’avais envie de montrer cette terreur devant la prise de conscience qu’on est mortel, étape constitutive de l’enfance.   

En particulier chez Louis XV...
Louis XV est un enfant dont toute la famille a disparue à cause de la variole. Il voit mourir tout le monde autour de lui : son arrière-grand-père, son grand père, son père, sa mère, son frère... Et malgré ce déficit affectif terrifiant, on lui demande d’être roi. Et il se retrouve investi d’une fonction qu’il commence à investir maladroitement, puis qu’il finira par occuper pleinement. 

Une phrase qu’il dit au Régent résume la complexité de son rapport à la fonction de roi : « A la veille de notre majorité, nous ordonnons de ne pas dormir seul. »
Le film raconte l’avènement d’un roi : comment un enfant orphelin et malade, par le lien un peu ridicule du sang se retrouve tout d’un coup investi de la fonction royale. Et découvre le monde à travers un prisme qui est celui du pouvoir absolu. En même temps il comprend qu’on ne le fait roi que pour le faire obéir.

Le jeune Louis XV est maladroit et indécis. Dès qu’on lui demande de prendre des décisions, il se méfie, scrute les regards, répond à peine. Je voulais montrer cette facette du pouvoir royal, cette difficulté d’occuper une telle charge pour cet enfant. Louis XV est dépassé par son rôle mais il l’assume aussi, parfois même avec dureté. Quand il est dans la barque avec l’infante et lui dit : « Madame, on ne vous voit pas grandir », d’un seul coup, il est dans la fonction de reproduction, au sens royal du terme.

L’infante est un personnage à la force d’âme étonnante.
L’infante était déjà très présente et très investie par Chantal Thomas dans le livre, elle les sublime, admirablement. Elle leur prête des qualités et une précocité qu’ils n’ont pas dans la réalité, j’adore son rapport aux enfants. J’ai investi Louis XV, Chantal a investi l’infante ! Et le film est le résultat de nos projections respectives. Chantal a  accepté ma vision de Louis XV et moi j’ai essayé de respecter au mieux l’infante telle qu’elle l’avait vue. Tout en sachant que j’aime autant les autres personnages d’enfants et que je tenais à un équilibre. L’idée était qu’il y ait quatre enfants, d’un poids équivalent. 

Ces enfants sont embarqués dans un complot cynique mais ils se débattent avec noblesse, assument leur destin...
Je n’abaisse jamais mes personnages, je ne peux pas, ce n’est pas mon tempérament. J’aime les films où il y a une hauteur des personnages. On n’est pas obligé de se focaliser sur une humanité qui sombre, elle sombre bien assez comme ça ! Ces enfants restent debout et dignes mais n’en sont pas moins les victimes de leur héritage déliquescent.

C’est toute la question du déterminisme : dans quelle mesure peut-on s’exonérer de son éducation et s’extraire de là où l’on a été plongé dès l’enfance ? Le fait de s’opposer dramatiquement à son enfance, c’est déjà l’intégrer. S’en sortir est donc extrêmement compliqué pour ces enfants, notamment pour Louis XV, qui n’a qu’une solution : devenir roi puisqu’il est né pour être roi. Il l’accepte et le devient. 

Quant au peuple, il reste totalement hors-champs, hormis cette échappée dans la forêt, où la princesse croise le regard d’une jeune paysanne...
La princesse sort du carrosse pour se soulager, regarde le ciel et tout d’un coup, elle aperçoit cette petite fille dans les bois. Elle est intriguée, esquisse un sourire et tout de suite on vient la ramener dans son monde... Je trouvais intéressant que cet unique moment d’échange entre l’aristocratie et le peuple se passe ainsi, montrant une princesse oppressée par son propre monde.

Pour montrer cette aristocratie en déclin, pas la peine de rajouter l’image un peu clichée des sans culottes en guenilles, la consanguinité dans laquelle ils vivent suffit ! Cette aristocratie s’autodétruit dans des guerres tribales : la tribu des Bourbons contre celle des Orléans. 

Drame historique de Marc Dugain. 3,9 étoiles AlloCiné.


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