Histoire extraordinaire : Marie-Angélique le Blanc, enfant sauvage au destin unique

Marie-Angélique le Blanc, née vers 1712 en Nouvelle-France, dans une région devenue par la suite l'État américain du Wisconsin, et morte à Paris le 15 décembre 1775, est une Amérindienne, devenue une religieuse augustine et une figure marquante du siècle des Lumières, restée célèbre pour avoir été une enfant sauvage. Ayant survécu 10 années en forêt sans utiliser de langage articulé (novembre 1721 - septembre 1731), elle parvint ensuite à apprendre à lire et écrire, fait unique chez les enfants sauvages…

Elle est aussi l'unique exemple d'enfant sauvage à être reconnu comme authentique dans les Archives secrètes du Vatican  en raison d'informations reçues sur son comportement élaboré de survie lors de sa capture (chasseuse, nageuse, pêcheuse, parfois très violente, etc.), ainsi que sur son alimentation : tout aliment cuit la rend malade ; elle se nourrit exclusivement de végétaux crus (feuilles et racines) et de proies dévorées crues, ce qui atteste d'une longue désocialisation.

Sa biographie a pu être reconstituée par Serge Aroles, à partir d'une abondante documentation d'archives de provenances variées allant de l'Écosse à la Russie. Capturée dans le village de Songy, en septembre 1731, elle est pour cette raison connue comme la « fille sauvage de Songy » ou « fille sauvage de Champagne » (dans la litterature anglophone, « Wild Child of Songy » ou « Wild Girl of Champagne »).

Le philosophe écossais James Burnett, qui la rencontre en 1765, la considère comme « le personnage le plus extraordinaire de son temps ». 

Biographie
Le parcours biographique peu commun de Marie-Angélique le Blanc lui a valu de son vivant une certaine notoriété, documentée par une abondante littérature : plus de 400 documents d'archives ont ainsi été recensés par Serge Aroles, après une période d'oubli relatif aux XIXe et XXe  siècles. Elle fut en particulier un témoin privilégié des conditions de vie de milieux sociaux divers, aussi bien en Amérique du Nord que dans la France rurale ou citadine du XVIIIe  siècle.

Née vers 1712, elle appartient à la tribu amérindienne des Renards ou Meskwakis, qui occupe une partie du territoire de la Haute-Louisane alors sous administration française.

Lors de la guerre de juillet 1716 se soldant par une quasi extermination des Renards, le major Dubuisson épargna la vie de Marie-Angélique qui fut adoptée par Madame de Courtemanche qui, vers l'été 1718, l’emmène en Europe.

Arrivée en Europe
Leur navire vient s'ancrer, le 20 octobre, dans Marseille, alors ravagée par la dernière grande épidémie de peste de l'histoire de l'Occident.

Madame de Courtemanche, qui considérait Marie-Angélique comme sa fille, fut contrainte, entre juillet et septembre 1721, de la confier au sieur Ollive, qui avait repris, dans le terroir nord de Marseille, une activité dans la filature de la soie.

Marie-Angélique y rencontre là une jeune esclave noire venue de Palestine.

Suite à des maltraitances et très certainement à un viol (Marie-Angélique sera à jamais terrorisée qu'un homme la touche), elle s'enfuit avec la petite fille noire, aidées dans leur fuite par le fait qu'elles traversent une Provence dépeuplée, dévastée par la peste.

Au cours de leurs dix années communes de survie en forêt, jamais les deux filles ne parviendront à trouver un langage articulé commun, ne communiquant que par des gestes, des cris et des sifflements. Au vu de son origine (la Palestine), la petite esclave noire était probablement originaire du Soudan ou d'Éthiopie, ces deux terres fournissant l'immense majorité des esclaves noirs de cette aire en ce début de XVIIIe siècle.

Leur survie commune sera facilitée, tout à la fois par la force de la jeune esclave noire, décrite comme plus grande de taille, et par l'origine amérindienne de Marie-Angélique, qui, très jeune en Nouvelle-France, avait appris à se protéger du grand froid en s'enfouissant en terre, notamment dans des terriers d'animaux agrandis.

La petite esclave noire, désormais âgée de plus de vingt ans, sera abattue, vers le 7 septembre 1731, en Champagne, par monsieur de Bar de Saint-Martin, près du village éponyme dont il avait la seigneurie. Marie-Angélique fut longtemps accusée de ce crime, mais l'auteur des coups de feu, confessera lui-même à James Burnett, en 1765, avoir fait feu par crainte de ces deux créatures sauvages.

Capture et rééducation
Vers le 8 septembre 1731, près du cimetière de Songy, Marie-Angélique fut retrouvée dans un état d'ensauvagement marqué (noirâtre, griffue, chevelue, affectée d'un nystagmus, buvant l'eau à quatre pattes tel un animal...), puis recueillie par le châtelain local, le vicomte d'Epinoy (d'Espinay) , qui la fit héberger chez son berger.

Le 30 octobre 1731, elle fut transférée à l'hospice Saint-Maur de Châlons-en-Champagne, qui comprenait trois sections : hommes, femmes et enfants jusqu'à l'adolescence.

Elle vécut ensuite dans un hospice et six couvents de quatre autres villes de Champagne, Vitry-le-François, Sainte-Menehould, Joinville en Champagne et Reims.

Elle est désormais protégée par le duc Louis d'Orléans, cousin du roi, par l'ancienne reine de Pologne, Catherine Opalinska, mère de Marie Leszczyńska, et par l'archidiacre Cazotte (frère de l'écrivain), qui falsifie son acte de baptême en la rajeunissant de 9 ans, laissant ainsi  à croire qu'elle fut sauvage peu de temps. Cette modification de son âge, bien attestée par les archives, va induire en erreur toute la littérature consacrée à Marie-Angélique durant près de trois siècles, et empêcher de découvrir son origine car il fallait rechercher sa venue en France dans des registres antérieurs d'une décennie.

Désormais rajeunie de 9 ans, et n'ayant plus à porter un lourd et long passé « sauvage » qui effrayait les autorités civiles et ecclésiastiques, Marie-Angélique entra le 23 avril 1750 au couvent des Nouvelles-Catholiques à Paris, puis intégra le 20 janvier 1751 le noviciat de l'abbaye Sainte-Périne de Chaillot, où les religieuses avaient le titre de chanoinesses augustines et l'honneur de porter l'aumusse.

Grièvement blessée dans cette abbaye en tombant d'une fenêtre, le duc Louis d'Orléans la fit transférer en ambulance hippomobile, le 14 juin 1751, au couvent-hôpital de la rue Mouffetard. Laissée là pour morte durant de longs mois, Marie-Angélique survécut, bien qu'elle eût été privée de presque tous soins après le décès du duc d'Orléans en 1752.

Jetée à la rue en novembre 1752, celle qui avait survécu à la grande peste de Marseille, puis 10 années en forêt dans son enfance, affronta avec stoïcisme un état de grande misère à Paris. Une gazette publiée en Allemagne, le Journal épistolaire, fera savoir son étonnement, le 22 mars 1755, qu'un personnage de cette importance « ait pu se trouver presque réduite aux extrémités de la misère ».

Dans le couvent des Hospitalières de la rue Mouffetard, Marie-Angélique avait fait la connaissance d'une dame de charité habitant le quartier (actuelle rue Broca), Marie-Catherine Homassel Hecquet , avec laquelle elle rédigea, en 1753, les souvenirs qui seront publiés sous le titre : Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans, qui reprenait donc l'âge falsifié.

L'ouvrage, annoncé dès le 19 février 1755 dans les Annonces, Affiches, et Avis divers  fut un succès, aussitôt réimprimé puis traduit en allemand (1756) et en anglais (plusieurs éditions en Angleterre et en Écosse à partir de 1760), ce qui apporta un soutien financier important à Marie-Angélique.

Marie-Angélique reste l'unique cas d'enfant sauvage qui, découvert dans un grand état de régression comportementale, eut présenté ensuite une complète résurrection intellectuelle, apprenant à lire et écrire, ce qui est attesté par des écrits de sa main et la mention des livres de sa bibliothèque dans l'inventaire notarié de ses biens, dressé en janvier 1776.

Sa mort
Le 15 décembre 1775 au matin, apprenant que Marie-Angélique est mourante, le voisinage et les passants se précipitent chez elle, à l’angle des actuelles rues du Temple et Notre-Dame-de-Nazareth. On va quérir de toute urgence un chirurgien, le sieur Mellet, qui se rend par deux fois à son chevet et se déclare impuissant.

De faux créanciers s'étant présentés, alléguant que Marie-Angélique avait des dettes de nourriture et de médicaments, la Chambre du Domaine du roi lance une enquête sur ses dernières années de vie, incluant une enquête de moralité. Ne voulant pas céder une seule pièce de monnaie de cette succession adjugée au Trésor royal, le procureur du roi menace les faux créanciers pour leurs mensonges, concluant que, Marie-Angélique étant riche, elle ne pouvait avoir de dettes de la vie courante : « la demoiselle Leblanc, quoique jouissant de revenus viagers assez considérables, vivoit avec ordre et économie  »

Témoignages des contemporains
Outre les documents d'archives et la biographie de Marie-Catherine Hecquet, la vie de la « fille sauvage de Songy » a fait l'objet d'abondants commentaires de contemporains  :

- Deux courriers publiés dans le numéro de décembre 1731 du Mercure de France. L'un d'eux est dû à Claude Faron, historien châlonnais, qui écrit à nouveau à son propos en 1737.

- Louis Racine lui consacre plusieurs vers dans son Epître II sur l'homme (1747). Après l'avoir rencontrée en 1750, il publie des Eclaircissements sur la Fille sauvage.

- Le philosophe Julien Offray de La Mettrie note à son propos, en 1748 : "Je crois que la fille sauvage de Chalons en Champagne aura porté la peine de son crime, s’il est vrai qu’elle ait mangé sa sœur. "

- Le duc de Luynes la rencontre en 1753 et la cite dans ses mémoires.

- En avril 1755, le Mercure de France publie une lettre de La Condamine où celui-ci nie être l'auteur de l'Histoire d'une jeune fille sauvage... Il précise les conditions d'écriture de cet ouvrage.

- En 1756, Voltaire l'évoque brièvement, également à propos du combat avec sa compagne, dans le Poème sur la loi naturelle.

- Dans les tomes 3 et 4 de son Histoire naturelle, Buffon évoque Marie-Angélique et son incapacité à parler avant sa capture .

- Le naturaliste Valmont de Bomare cite brièvement Marie-Angélique dans l'édition de 1764 de son Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle, sous l'entrée "Homme sauvage" ; dans l'édition de 1775, il lui consacre quelques lignes synthétisant l'Histoire d'une jeune fille sauvage...., auxquelles il ajoute des observations personnelles.

- Buirette de Verrières

- Julia Douthwaite

Cependant, tous ces auteurs négligent de vérifier les archives, répétant notamment l'erreur de son âge à sa capture (« dix ans » alors qu'elle en avait près du double), laquelle subsistera pendant près de trois siècles. L'oubli de Marie-Angélique le Blanc durant cette longue période a peut-être aussi été favorisé par l'attention portée à trois autres cas présumés d'enfants sauvages, dont la réalité est désormais contestée par la communauté scientifique : Victor de l'Aveyron et les deux « enfants-loups » de l'Inde, Amala et Kamala.

Redécouverte au XXIe siècle
Depuis 2006, tous les projets de mise en scène de la vie de Marie-Angélique le Blanc, que ce soit à la télévision, au théâtre ou au cinéma, ont échoué. En effet, la représentation d'une existence aussi longue et complexe - par la variété des contextes géographiques et culturels - représente un budget considérable. Parmi ces projets non aboutis, on peut signaler ceux d'André Targe (qui l'a démarré avec fougue en 2006, mais dont le décès a conduit à l'interruption prématurée), Patrick Charles-Messance (pour le cinéma, en coproduction avec les États-Unis), Dominique Deschamps (pour le théâtre), Sonia Paramo et Marc Jampolsky (pour la télévision). Seuls ont pu être réalisés de petits reportages, tel celui diffusé sur France 3 en juillet 2006.

À la mémoire de Marie-Angélique, le village de Songy, où elle fut capturée en 1731, lui a élevé une statue en 2009, et les éditions Delcourt lui ont consacré une bande dessinée historique.

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici.


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