Petit paysan

Pierre, la trentaine, est éleveur de vaches laitières. Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire et ses parents dont il a repris l’exploitation. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver...


Entretien avec Hubert Charuel, le réalisateur 

Vous êtes fils de paysans ?
Oui, et mes parents sont tous les deux enfants de paysans. Leur ferme est à Droyes, entre Reims et Nancy, à vingt kilomètres de Saint-Dizier, la ville la plus proche. Ce qui leur a permis de survivre à la crise laitière, c’est beaucoup de travail, peu d’investissements, peu de nouveaux outils, des emprunts limités. Cela signifie beaucoup d’intelligence et aussi s’user physiquement pour survivre.

Avez-vous pensé reprendre l’exploitation ?
Je connais bien le métier mais je n’ai jamais eu l’ambition de reprendre la ferme. J’y pensais un peu à chaque changement de cycle scolaire et, curieusement, c’est quand j’étais étudiant à La fémis que j’y ai le plus pensé. Je ne me sentais pas dans mon milieu.

En 2008, j’ai eu un accident de voiture avec ma mère, j’ai dû la remplacer pendant six mois à la ferme. Six mois d’une discipline hyperrigoureuse pendant lesquels j’étais dans une forme physique et mentale exemplaire ! J’étais bien, je ne me débrouillais pas mal avec les vaches, le contrôleur laitier disait à mes parents : « Celui-là, il faut pas le laisser partir », et j’ai commencé à douter.   

Cette « ivresse de la routine », c’est celle que vit Pierre dans le film…
Absolument. Mais j’ai fini par comprendre que si je m’y sentais bien, c’est parce que je savais qu’il y aurait une fin. Je suis fils unique. Ma mère est à la retraite depuis quelques semaines. Je suis donc l’enfant unique qui ne reprend pas la ferme de ses parents, et je tourne d’ailleurs en ce moment un documentaire à ce sujet.

Petit Paysan parle de cette énorme contrainte qu’est la vie à la ferme : travailler sept jours sur sept, traire deux fois par jour, toute l’année, toute la vie. Et du rapport aux parents qui sont toujours là, le poids de cet héritage. Les gestes sont hyper-ritualisés, on va traire les vaches comme on va à la prière, le matin, le soir. Etre éleveur laitier, c’est un sacerdoce. 

Comment est née l’idée du film ?
La crise de la vache folle m’a beaucoup marqué. Je me revois devant la télé, il y a un sujet sur la maladie, personne ne comprend ce qui se passe, on tue tous les animaux. Et ma mère me dit : « Si ça arrive chez nous, je me suicide ». J’ai dix ans et je me dis que ça peut arriver… Je me souviens de la tension qu’il y avait partout. Comme Pierre le fait avec sa sœur, les paysans appellent souvent leur vétérinaire, ils veulent être rassurés.

Et Creutzfeld-Jacob était si particulier que les vétos ne savaient pas quoi dire. On ne savait pas par où passait la contamination, c’était la panique générale. Une paranoïa totale. A La fémis, on avait un exercice de scénario à faire, sous la supervision d’une scénariste américaine, Malia Scotch Marmo. C’est elle qui m’a dit : « Tu tiens quelque chose, tu dois écrire ». Son soutien m’a désinhibé. Après être sorti de l’école, j’ai rencontré Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian de Domino Films, qui ont été convaincus par le synopsis et quelques pages dialoguées écrites avec Claude. C’était parti pour deux ans et demi d’écriture, de 2013 à 2015…

Pierre, c’est vous ?
Le personnage est différent de moi dans ses réactions et la manière dont il parle, mais la vie de Pierre est évidemment celle que j’aurais dû avoir si je n’avais pas décidé de faire du cinéma. Son rapport aux animaux, sa relation avec ses parents nous rapprochent. Le film est tourné chez mes parents, il y a dans l’exploitation de Pierre une trentaine de vaches, comme chez mes parents. Ma mère tient beaucoup à ses vaches : si une vache est malade, et que la soigner coûte très cher, elle le fera. Pierre est comme ça.... Mais c’est aussi une exploitation laitière, et la production est meilleure si on s’occupe bien des animaux. Il y a cette ambivalence : on aime ses animaux, c’est sincère mais on les exploite.

Pourquoi tourner chez vos parents ?
C’était une obligation. Faire le film, c’était ma manière à moi de reprendre l’exploitation. Quand on a commencé à écrire, je n’y pensais pas parce que la ferme était toujours en activité. Mais après la retraite de mon père, ma mère est partie avec ses bêtes dans une autre exploitation. A partir du moment où on avait cette ferme vide, je me suis dit : « C’est le décor que je connais le mieux ». J’ai fait venir Sébastien Goepfert, mon chef-op, on est tombé d’accord : cette vieille ferme, que mes parents ont retapée eux-mêmes, a un cachet. Bon, ensuite, Sébastien a fait un peu la tête en voyant l’exigüité de la salle de traite… ! 

Dans le film, on découvre l’attention portée aux bêtes, mais aussi le contrôle très rigoureux exercé sur les troupeaux…
Ça s’est intensifié avec la traçabilité de la viande, qui, je crois, remonte à la crise de la vache folle. Les contrôles laitiers sont généralement des mesures que demande l’exploitant pour lui permettre de situer la qualité de sa production et qui donnent lieu à un enregistrement administratif. Les vaches ont toutes un numéro d’immatriculation. On en est le propriétaire, mais on ne peut pas faire tout ce qu’on veut d’elles.

En faire disparaître une, par exemple. Aller chez les flics pour déclarer une vache que le paysan a en fait mangée, c’est une petite arnaque qui existe : le paysan fait abattre une vache, la découpe en steaks et va déclarer sa perte pour se la faire rembourser par l’assurance…

Comment avez-vous imaginé la maladie qui atteint les vaches ?
Je ne voulais pas faire un film sur la crise de la vache folle ou sur la fièvre aphteuse. Cette dernière a longtemps été un traumatisme violent pour les paysans : les vétérinaires débarquaient, ils creusaient une fosse au milieu de la ferme, ils y jetaient les vaches et ils les brûlaient sur place. On ne fait plus comme ça.

Dans le scénario, on a imaginé une « fièvre hémorragique », on s’est inspiré d’une maladie qui touche les veaux, mais qui se soigne, dont l’un des symptômes est un saignement au niveau du dos. Il nous fallait un symptôme identifiable. On n’allait pas reproduire le tremblement d’une vache folle mais il fallait rendre l’épidémie visible, visuelle.   

Comment transforme-t-on un film naturaliste en thriller mental ?
A l’écriture, au filmage et au montage ! Il y avait cette idée de basculer du naturalisme à une veine plus thriller, de jouer avec les codes du genre. Le récit progresse beaucoup par les manœuvres de diversion de Pierre : pour sauver ses vaches, il est obligé d’avoir une vie sociale, de voir ses amis, et même de diner avec la boulangère. Il gagne du temps, sans cesse…

Au tournage, on a changé peu à peu les cadrages et les lumières : le film démarre dans une atmosphère solaire, et on bascule ensuite dans une lumière plus artificielle et industrielle. Les scènes de « meurtres » sont emblématiques, par leur durée, leur découpage et leur rythme. La première fois, Pierre fait des allers et retours dans la maison, se demande avec quoi il va la tuer… Ça prend du temps…

Au deuxième meurtre, on laisse le champ complètement vide, on lâche le personnage le temps qu’il aille chercher son fusil. Quand il revient dans le cadre, c’est devenu quelqu’un d’autre, un tueur. La musique, qui a été composée par Myd, du collectif Club cheval, permet aussi le glissement du naturalisme au genre. Pierre est souvent seul et la musique sert aussi à rentrer dans sa tête. 

Drame français d'Hubert Charuel. Nominations 2017 aux festival de Cannes, semaine internationale de la critique et festival du film francophone d'Angoulême. 3,9 étoiles AlloCiné.


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