Makala

Au Congo, un jeune villageois espère offrir un avenir meilleur à sa famille. Il a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Parti sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre le fruit de son travail, il découvrira la valeur de son effort et le prix de ses rêves...

 

Entretien avec le réalisateur Emmanuel Gras 

D’où vient l’idée de ce film ? L’avez-vous eue en rencontrant Kabwita Kasongo ?
L’idée de ce film m’est venue avant de rencontrer Kabwita. J’avais déjà fait deux tournages en tant que chef opérateur dans cette région et j’avais été marqué par le fait de rencontrer partout des hommes et des femmes transportant à pied des chargements de toutes sortes. Même au milieu de la brousse, on était sûr de croiser quelqu’un transportant quelque chose. Mais c’est l’image de gens poussant des vélos surchargés de sacs de charbon qui m’a visuellement le plus frappé. Je me suis alors demandé d’où ils venaient, quelles distances ils parcouraient, qu’est-ce que cela leur rapportait... des questionnements très simples. Quel effort pour quel résultat ? Je me suis alors renseigné et j’ai écrit le projet. J’ai rencontré Kabwita en faisant des repérages, une fois les premiers financements obtenus. J’étais accompagné d’un journaliste congolais, Gaston Mushid, très connu là-bas, qui a facilité tout ce que je souhaitais faire. Je suis allé dans les villages autour de Kolwezi pour rencontrer des gens qui faisaient du charbon. J’ai rencontré Kabwita à Walemba et j’ai su très vite que je voulais faire le film avec lui. J’aimais son attitude, un peu en retrait mais pas timide, son allure, et surtout son regard, plutôt doux mais très vif. En vrai, il y a des gens pour qui on a simplement tout de suite de la sympathie, vers qui on est attiré et c’était le cas avec lui. Un an après, je suis revenu, et nous avons commencé à filmer.   

Parlez-nous de Kabwita Kasongo
Kabwita a 28 ans, il est marié à Lydie. Ils ont trois enfants : un bébé, Brigitte, Séfora, qui doit avoir 2 ou 3 ans, et Divine, 6 ans, qui vit avec une des sœurs de Lydie, à la ville, comme on le constate dans le film. Hormis cela, Kabwita n’a pas de parents dans son village. Son seul bien de valeur est son vélo. Kabwita et Lydie sont locataires de leur case, alors que d’autres habitants sont propriétaires. Ils sont donc pauvres, mais c’est le cas de l’immense majorité des villageois. On ne le voit pas dans le film, mais il a fabriqué lui-même ses outils. Il est très travailleur, il a des responsabilités, mais il a aussi un comportement très jeune : il va boire le mukuyu (une bière artisanale) avec ses amis, aime bien s’amuser. Il a une personnalité très marquée, il peut se moquer durement des autres. C’est un coriace sous des airs assez tendres.   

Qu’avez-vous dit à Kabwita avant de commencer le tournage ?
Je lui ai dit que je voulais filmer son travail de « charbonnier ». Du début à la fin, du moment où il coupe l’arbre jusqu’à la vente en ville. Et que je cherchais quelqu’un qui travaillait seul. C’était très simple et finalement suffisant. Il a tout à fait compris quelles étaient mes intentions. Et du coup, on discutait de ce qu’il allait faire, des étapes de son travail. Ça donnait un cadre assez précis et faisait qu’il pouvait prendre en charge son propre rôle. Je pense que le documentaire, surtout lorsqu’on suit une personne en particulier, devient une collaboration entre le filmeur et le filmé. Le « personnage » devient acteur de son propre rôle. Le documentaire lui permet une nouvelle manière d’être lui-même. Et Kabwita a occupé cet espace avec un naturel et une aisance incroyables. 

Votre film est très matérialiste et en même temps ouvre sur une dimension conceptuelle…
Ce qui m’intéresse, c’est de faire surgir du concret une autre dimension. Le concret, c’est la rencontre de l’homme physique avec la réalité matérielle du monde. Cela peut passer par l’effort, la douceur… On existe par l’action que l’on a dans le monde. Si les enjeux sont simplifiés au maximum, comme dans Makala, ressort de façon très claire l’effort de l’homme pour continuer à vivre. Or, en tant que cinéaste, je vois surgir de cela une beauté humaine, qui dépasse le prosaïsme. Il y a une beauté dans le savoir-faire que Kabwita met en œuvre pour construire le four, par exemple.

Drame d'Emmanuel Gras. Séléction Semaine de la critique, Cannes 2017. Sortie en salles juin 1017.


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