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L’ascension fulgurante de Reinhard Heydrich, militaire déchu, entraîné vers l’idéologie nazie par sa femme Lina. Bras droit d’Himmler et chef de la Gestapo, Heydrich devient l’un des hommes les plus dangereux du régime. Hitler le nomme à Prague pour prendre le commandement de la Bohême-Moravie et lui confie le soin d’imaginer un plan d’extermination définitif. Il est l’architecte de la Solution Finale... 

Entretien avec Cédric Jimenez, le réalisateur 

Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé et touché dans le livre de Laurent Binet ?
Si l’on parle purement de récit, il y avait deux aspects qui ont particulièrement retenu mon attention. D’abord, une dimension purement historique. Il s’agit de l’histoire de Heydrich, personnage que je connaissais mal. Je ne l’avais pas identifié comme l’architecte de la Solution finale et j’ignorais qu’il avait été l’unique haut dignitaire nazi à avoir été assassiné par la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

D’autre part, j’étais fasciné par la trajectoire de ces deux gamins qui partent en mission, résolus à l’éliminer. Cette thématique – le sacrifice pour une grande cause au détriment de sa propre vie – m’est chère, sans doute parce que je n’en serais pas capable. C’était aussi le cas du juge Michel, dans LA FRENCH, qui plaçait l’intérêt collectif avant son intérêt personnel. Il n’y a pas grand-chose de plus admirable que de se dire « ma vie est moins importante que celle de milliers de gens qui vont souffrir si je ne fais rien ». 

Laurent Binet s’interroge dans son livre sur la place de la fiction au cœur d’un récit historique. Vous êtes-vous aussi posé cette question ?
À mon sens, Laurent Binet s’est confronté à la difficulté de transformer le réel en matière fictionnelle, sans trahir ce que les personnages ont réellement été. C’est intéressant car nous, scénaristes, sommes sur ses pas, heurtés aux mêmes questionnements. Essayant sans cesse de respecter le formidable ouvrage que nous avions entre les mains, tout en l’adaptant aux contraintes de l’exercice scénaristique. À ce que le cinéma impose de raccourcis, de contractions.

Ce sont des dilemmes répétés et passionnants pour réussir à obtenir un récit à la fois juste et captivant. Il y a aussi chez Laurent la volonté de ne jamais céder à la tentation d’arranger la réalité au profit du récit, quitte à frustrer quelque peu le spectateur. C’est aussi un exercice contraignant, nécessaire et casse-gueule par moment, auquel on doit se confronter quand on met en scène une histoire vraie. 

Comment avez-vous trouvé la bonne distance avec Heydrich, afin d’éviter de lui trouver les moindres circonstances atténuantes ?
Dès l’instant où on choisit d’aborder un personnage, il faut le faire exister, autrement dit, le rendre réel sans pour autant l’humaniser. Les hommes comme Heydrich sont tellement négatifs et épouvantables qu’on a tendance à croire qu’ils n’existent pas d’un point de vue biologique.

L’humaniser, qui implique une forme d’empathie, n’était pas mon but, mais le faire exister en tant qu’être humain. Je voulais donc montrer que, aussi mauvais soit-il, on peut croiser des hommes comme lui dans la rue : il avait une femme et des enfants et il était face aux mêmes problèmes que tout un chacun. Ce n’est pas un personnage de conte ou un monstre issu de l’univers Marvel : il incarne la capacité qu’a l’être humain d’être dénué de toute morale. C’est en cela que la distance avec lui est difficile à trouver : on est nécessairement confronté à son intimité, puisque c’est le seul moyen de montrer que cet homme a existé. Et dans le même temps, il s’est construit en allant aussi loin qu’il le pouvait dans les abîmes de l’horreur.   

Dès son premier rendez-vous amoureux, Heydrich laisse entrevoir sa brutalité…
C’est un personnage animé par des instincts bestiaux avec toute la brutalité qu’ils impliquent. Mais avant tout, c’est un homme qui ne considère pas l’autre comme existant vraiment. C’est ce déficit total d’altérité qui explique qu’il peut tuer sans être affecté par l’horreur. Il n’a pas la sensibilité de l’autre : il ne peut ressentir la souffrance infligée à autrui qu’en se faisant du mal à lui-même. Dans la scène dont vous parlez, on sent qu’il baise seul. Il le fait sans jamais tenir compte de l’autre et c’est à l’image de toute sa vie. Il avance sans avoir la moindre connexion affective, humaine, émotionnelle avec le reste de l’humanité. Quand on en arrive à gommer l’existence de l’autre, on bascule dans un monde d’une noirceur absolue et sans limite.

Drame historique de Cédric Jimenez.  3,8 étoiles AlloCiné.


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