Je danserai si je veux

Layla, Salma et Nour, 3 jeunes femmes palestiniennes, partagent un appartement à Tel Aviv, loin du carcan de leurs villes d'origine et à l'abri des regards réprobateurs. Mais le chemin vers la liberté est jalonné d'épreuves…

 

Entretien avec Maysaloun Hamoud la réalisatrice 

Comment le projet de JE DANSERAI SI JE VEUX est-il né ?
Il est né de l’impasse dans laquelle je me trouvais à l’époque de mes études de cinéma à l’université de Tel-Aviv. La nouvelle résistance palestinienne était en train de se mettre en place et les soulèvements populaires du Printemps arabe étaient très prometteurs. Ces grands changements étaient aussi annonciateurs d’une révolution culturelle. Il était évident que le moment était venu de faire entendre une nouvelle voix. On s’est dit que l’ancien ordre était en train de s’effondrer et qu’on pouvait désormais se reconstruire et bâtir des sociétés plus saines et plus heureuses que celles qu’on avait connues à l’époque des États-nations. On était dans cet état d’esprit. Je savais que je voulais tourner un film pour le peuple qui s’attaque également au système. 

Le film s’inspire-t-il de votre propre expérience de vie à Tel-Aviv-Jaffa ?
Formellement, le «naturalisme» du film exprime la réalité des situations qu’il dépeint. En d’autres termes, les habitudes des personnages – leur manière de s’habiller, de parler, de se comporter – évoquent la résistance palestinienne. Étant donné que j’en fais moi-même partie, on pourrait dire que j’ai transposé ma propre vie. Si l’intrigue ne retrace pas littéralement mon parcours, je me suis inspiré des gens de mon entourage et de notre expérience collective.

Il faut une véritable audace pour parler de sexualité et de problématiques liées à l’homosexualité dans le monde arabe. Aviez-vous des appréhensions concernant l’accueil du film ?
Dès lors qu’on décide de faire connaître au monde son état d’esprit et ses sentiments, on ne peut plus faire machine arrière. Soit on exprime ce qu’on ressent au plus profond de soi, soit on abandonne tout projet artistique. En tout cas, c’est mon approche de la création. L’état d’esprit radical du Printemps arabe a aussi suscité pas mal de remous en Israël et en Palestine. Il a imprégné notre psychisme. Dès que des millions de jeunes hommes et de jeunes femmes arabes ont exprimé leur «rasle-bol» (Kifaya !), ils ont condamné l’oppression, le système patriarcal, la misogynie, la marginalisation, et l’homophobie et exigé un nouveau modèle dépourvu des codes culturels les plus conservateurs, imposés au nom de la «tradition».  Ce mouvement de «ras-le-bol» a marqué un changement majeur de mentalité. On ne pouvait plus mettre les problèmes sous le tapis : il fallait désormais les aborder frontalement. Dans le cas contraire, on risquait de trébucher et de tourner en rond. L’intégrisme est une maladie mortelle. Si on refuse de secouer le tapis, on risque de se retrouver enterré en-dessous. Du coup, en ce qui concerne ma crainte des réactions suscitées par le film, je ne me fais pas d’illusions. Il y aura forcément des répercussions. Y compris pour moi à titre personnel. Mais c’est le prix à payer si l’on veut que la société évolue. C’est pour ça que je veux faire des films. Bien entendu, je m’intéresse également à l’impact positif du film : combien de personnes y seront sensibles ? Est-ce que je sais de manière certaine les réactions qu’il déclenchera ? Il est impossible de le savoir. En raison de ses thématiques, le casting a-t-il été difficile ?

Quelle est la part d’acteurs professionnels et non-professionnels auxquels vous avez fait appel ?
Le cinéma palestinien est encore balbutiant. Comme nous n’avons pas l’habitude de nous voir représentés à l’écran, il est difficile pour la plupart d’entre nous de faire la distinction entre personnages et comédiens interprétant ces personnages, contrairement au spectateur moyen qu’il soit d’origine égyptienne, française, américaine ou israélienne. C’est encore plus difficile lorsque les personnages à l’écran s’éloignent des rôles palestiniens stéréotypés qu’on a l’habitude de voir au cinéma.

J’ai cherché des acteurs professionnels et nonprofessionnels qui puissent incarner les personnages avec le plus grand naturel possible. C’est ce qui m’a guidée pendant les auditions. Je savais qu’il fallait que je sois très précise et sans concessions. Comme j’appartiens au monde que je dépeins dans le film, j’avais mes repères. Je savais vers qui me tourner. Je connais les comédiens les plus intéressants du moment et les personnages qu’ils sont capables de jouer. Je savais que ce ne serait pas facile mais par chance j’ai pu choisir mes principaux interprètes pendant l’écriture du scénario. Deux d’entre eux – Sana Jammalieh (Salma) et Shaden Kanboura (Nour) – m’ont donné leur accord deux ans avant le tournage.

Sur les 42 personnages du film, c’est Laila qui m’a donné le plus de fil à retordre au moment du casting, plus encore que Salma, qui est lesbienne. Laila incarne notre alter ego, celle qui refuse le moindre compromis. Non seulement Laila ne se censure pas, mais elle fait exactement ce qu’elle veut. Elle ne correspond pas aux stéréotypes de la femme palestinienne hétérosexuelle. Son approche du féminisme est subversive et représente une menace : elle est belle, sexy, sensuelle, insoumise, déterminée, volontaire et rebelle. Nous n’avons pas beaucoup de comédiennes en Palestine et j’ai même fait venir une femme de Berlin pour faire un essai.

Je tenais à ce que l’actrice qui campe Laila partage les traits de personnalité du personnage. Nous voulons tous être des Laila à notre façon mais nous nous efforçons de garder cet aspect de notre identité enfoui au fond de nous. Un mois avant le début du tournage, je ne l’avais pas encore trouvée. Nous avons bien failli retarder le tournage. C’est alors qu’on a rencontré Mouna Hawa et qu’elle a incarné le rôle dans toute sa complexité. Je n’ai pas eu un coup de foudre au départ mais elle s’est magnifiquement appropriée le personnage. En revanche, le rôle de Salma était pour ainsi dire écrit pour ma grande amie Sana, une non-professionnelle. Elle a une personnalité – et un parcours – très proche de celle de Salma. J’ai rencontré Shaden Kanboura grâce à ma colocataire Maysa Abdel Hadi, qui devait interpréter Laila au début. Et dès que j’ai commencé à filmer Shaden au cours des essais caméra, j’ai compris qu’elle était Nour. Comme si le personnage de Nour l’attendait.

Le casting des autres personnages comportait aussi sa part de difficultés. Je pense notamment à Dunya, l’amoureuse de Salma. Ahlam Canaan est une formidable violoniste dans la vie et elle appartient à notre univers culturel. Quand elle s’est présentée pour le rôle de Laila, je savais qu’il ne lui correspondait pas. Je savais en revanche qu’elle correspondait à Dunya. Lorsque je le lui ai dit, elle a accepté le rôle sans la moindre hésitation. Lorsqu’elle a fait une lecture du scénario avec Sana, l’alchimie a été immédiate. Le personnage de Saleh, garçon homo extravagant, représentait un nouvel obstacle. Il me semblait évident que celui qui allait interpréter le rôle, quel qu’il soit, devait très bien connaître ce milieu : il fallait que sa description soit authentique et surtout pas stéréotypée. Il n’y a pas assez d’acteurs gay et j’ai donc dû solliciter tous les homos disponibles.

Tout à coup, Ayman Daw, qui étudie la mode à Milan, a débarqué – je commençais à perdre courage. J’ai braqué la caméra sur lui et il correspondait exactement à ce que je recherchais. Il en va de même pour Riyad Saliman qui incarne Qays. Saliman fait partie de Jazar, petit groupe d’habitants de Haïfa qui font du cinéma, de la musique et des graffiti. J’ai fait appel à beaucoup de non-professionnels, c’est-à-dire des gens comme moi qui nourrissent le film de leur quotidien.

Le choix de Mahmoud Shalabi pour Ziad était relativement simple puisque Mahmoud est la seule «star» que j’ai choisie (acteur pré-sélectionné deux fois aux Césars - révélation masculine pour Les Hommes libres de Ismaël Ferroukhi et Une bouteille à la mer de Thierry Binisti - NdT). Mais il campe Ziad à la perfection – c’est aussi simple que ça. 

Avez-vous cherché à donner naissance à un nouveau féminisme arabe ?
Le cinéma palestinien est en demande de nouveaux types de personnages féminins. Les femmes ne se contentent plus  d’être mères, sœurs ou filles de quelqu’un : il est temps que les femmes soient au premier plan, et qu’elles cessent de se cacher en coulisses. Comme les intrigues ouvertement politiques dominent notre cinématographie, nous sommes vouées à jouer le rôle de la victime. Les femmes que je représente sont vivantes et pleines d’énergie mais absentes des écrans. JE DANSERAI SI JE VEUX présente une grande diversité de femmes : jeunes et âgées, citadines et rurales, traditionnelles et progressistes – elles sont toutes belles mais dans des registres très différents et des modes vestimentaires différentes. Les femmes peuvent être sensuelles, militantes et en lutte contre le système patriarcal sans forcément se définir comme «féministes». Ce que je veux dire par là, c’est que les femmes peuvent se sentir concernées par leur libération sans être nécessairement progressistes ou laïques. 

Film palestinien de Maysaloun Hamoud. 12 prix dans les festivals. 3,8 étoiles AlloCiné.


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