Que dios nos perdone

Madrid, été 2011. La ville, plongée en pleine crise économique, est confrontée à l’émergence du mouvement des « indignés » et à la visite imminente du Pape Benoît XVI. C’est dans ce contexte hyper-tendu que l'improbable binôme que forment Alfaro et Velarde se retrouve en charge de l'enquête sur un serial-killer d’un genre bien particulier...

8 CITAS et STOCKHOLM, vos deux premiers films, détournaient les codes de la comédie romantique. Aujourd’hui, QUE DIOS NOS PERDONE s’attaque à ceux du thriller. Qu’est-ce qui vous attire dans le cinéma de genre ?
Tout a déjà été fait dans le cinéma de genre. Le pervertir un peu me stimule et j’espère que cela a le même effet sur les spectateurs. 8 CITAS et STOCKHOLM étaient des films qui suivaient des schémas pour mieux basculer dans des sentiers moins balisés dans leur seconde moitié. Ce principe est encore plus présent dans QUE DIOS NOS PERDONE. C’est une sorte de motivation personnelle pour surprendre les gens… Même si je sais que je n’invente rien avec ces ruptures. 

QUE DIOS NOS PERDONE est situé à Madrid en août 2011, au moment des manifestations sur la place de La Puerta del Sol et de la visite du Pape dans le cadre des JMJ. Ce choix ne peut pas être innocent…
Ma coscénariste, Isabel Peña et moi cherchions un contexte original pour cette histoire. Nous avions vécu ce mois d’août si particulier, qui est devenu une véritable expérience de vie par le chaos qui s’est alors emparé de Madrid, très inhabituel pour cette ville. Cette situation très singulière, voire, d’une certaine manière, historique, aura mis en lumière la transition entre la tradition d’une Espagne très catholique et l’apparition d’une nouvelle génération d’espagnols qui l’est beaucoup moins. C’était le cadre parfait pour notre histoire de tueur en série de vieilles dames bigotes : la visite du Pape attendue par des fervents catholiques, une partie de la population de la ville contre cette venue, et la police au milieu. Il nous fournissait une dramaturgie parfaite autour d’un tueur commettant des actes atroces mais que la police ne pouvait pas ébruiter pour ne pas amplifier la polémique autour du séjour du Pape. 

Entre le titre et son contexte, QUE DIOS NOS PERDONE évoque les pouvoirs policiers et religieux…
Quel qu’il soit, un pouvoir est toujours dangereux. Et selon moi, le plus dommageable des deux est le religieux. En ce qui concerne la police, c’est comme dans toute institution : on y trouve tous types de personnes, des gens bien et d’autres sans scrupule. L’Église peut avoir des aspects positifs, mais quand elle intervient directement, elle a une influence sur la pensée - ce qui, pour moi, est bien plus problématique. 

S’il y a un tueur et deux policiers à ses trousses dans QUE DIOS NOS PERDONE, ils ont en commun d’être, à différents degrés, tous des psychopathes en puissance…
C’était une des données de départ : suivre trois personnages aux fonctions opposées, mais psychologiquement pas si éloignés les uns des autres. Le « méchant » n’est finalement pas si méchant et les « gentils » ne sont pas aussi honorables que l’on pourrait le croire. L’enjeu du scénario était d’explorer leur personnalité et leur complexité. Je ne les définis pas comme des psychopathes, ce serait une appellation trop simpliste. Velarde, Alfaro et Bosque commettent des actes pour le moins discutables, c’est certain, mais Isabel et moi tenions à les montrer sous toutes leurs facettes d’êtres humains. 

Tous les trois ont en commun de vivre dans un état de frustration et de colère qui les mène à une certaine violence. Dans quelle mesure QUE DIOS NOS PERDONE est-il une étude de la violence masculine ?
La violence a été un sujet présent dès l’origine du film. Nous voulions aborder ses divers aspects : tant celle des hommes que celle des sociétés occidentales. Leur héritage hétéro-patriarcal fait qu’elle a toujours été pratiquée par des hommes. Il était donc fondamental qu’elle soit au cœur de QUE DIOS NOS PERDONE. 

La notion de réalisme de votre film se retrouve dans plusieurs autres thrillers espagnols récents, comme LA ISLA MINIMA ou LA COLÈRE D’UN HOMME PATIENT. Ils donnent l’impression d’un renouveau du genre. Mais quand on y regarde d’un peu plus près, ils renouent avec le sens du détail, du naturalisme ou du social du cinéma espagnol des années 50-60.Comment vous situez-vous ?
Il y a effectivement quelque chose qui tient d’un cinéma néo-Noir espagnol, mais le hasard fait que les réalisateurs des films dont vous parlez ont tous grandi (moi y compris) ou découvert le cinéma avec ces films des années 50-60, comme ceux de Juan Luis Berlanga par exemple. C’est quasiment une forme d’héritage culturel. Inconsciemment ou pas, s’en inspirer ou revendiquer leur influence, c’est une manière d’affirmer d’où l’on vient, de conserver ce lien. Mais c’est généralement le cas de toute nouvelle génération de cinéastes, quel que soit leur pays. Regardez votre Nouvelle Vague : elle s’est construite en réaction au cinéma populaire de leur époque, mais surtout sous l’influence du cinéma américain qu’elle adorait, non ?

Thriller espagnol de Rodrigo Sorogoyen. Prix du jury du festival de San Sebastian 2016, Goya 2017 du meilleur acteur. 4 étoiles AlloCiné.


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