Réparer les vivants

Tout commence au petit jour dans une mer déchaînée avec trois jeunes surfeurs. Quelques heures plus tard, sur le chemin du retour, c’est l’accident. Désormais suspendue aux machines dans un hôpital du Havre, la vie de Simon n’est plus qu’un leurre. Au même moment, à Paris, une femme attend la greffe providentielle qui pourra prolonger sa vie… 

Entretien avec Katell Quillévéré, la réalisatrice

D’où est venu le désir d’adapter le roman de Maylis de Kerangal ?
C’est David Thion, co-producteur du film, qui m’a offert Réparer les vivants, quelques jours après sa sortie. Il avait adoré ce livre et pensait qu’il pourrait me plaire. J’avais déjà lu deux autres romans de Maylis de Kerangal – Corniche Kennedy et Naissance d’un pont – et j’ai dévoré celui-ci en cinq heures, avec une évidence très forte : je devais essayer d’en faire un film.

J’ai fait confiance à la puissance de mon désir, qui était au départ très instinctif, mais dont j’ai mieux compris les raisons profondes pendant l’écriture du scénario. Il entrait une part de catharsis dans ce projet, l’envie de transformer mon propre vécu de l’hôpital. Finalement, cette adaptation m’est tout aussi personnelle que mes films précédents. Et puis ce livre était la promesse d’une aventure cinématographique très forte.

À travers le voyage de cet organe, il y avait la possibilité de filmer le corps de manière à la fois anatomique, poétique, métaphysique… Comment filme-t-on l’intérieur du vivant, que transgresse-t-on en explorant cet endroit-là ? Ce défi de cinéma, mélangeant trivial et sacré me renvoyait à mon premier long métrage, UN POISON VIOLENT. Par ailleurs, je venais de découvrir avec fascination The Knick, la série de Soderbergh sur les débuts de la chirurgie. Je trouvais passionnant d’avoir la possibilité de représenter des scènes d’opération.   

Malgré la mort qui fauche la jeunesse au début du film, vous êtes constamment du côté de la vie…
Cette histoire prend en charge tout ce que la vie peut avoir de chaotique, de violent : comment une vie peut être fauchée et en même temps, comment la pulsion de vie peut être plus forte et transformer la mort. Et comment on peut se guérir du scandale de ce qu’est une perte.  

Cette question de la résilience et de la luminosité d’un trajet était déjà présente dans mes précédents films, notamment SUZANNE, hanté par la perte d’une mère. J’avais envie de raconter cette histoire du coté des vivants et de ceux qui restent.

 Plutôt que de signifier, vous choisissez de rester dans la sensation. À cet égard, la scène de l’infirmier coordinateur roulant sur sa moto à la fin est très émouvante…
Dans cette scène, on prend tout d’un coup conscience, en tout cas je l’espère, du rôle qu’a joué ce garçon. Thomas est un passeur, au sens presque mythologique. C’est une sorte d’ange, qui a créé le pont entre ces deux familles et permis à la vie de continuer. Dans la réalité, ces gens tiennent vraiment ce rôle-là.

La manière dont ils vont exprimer et transmettre les choses aux familles, les écouter, les guider va faire que quelqu’un va vivre derrière, ou pas. Le plan d’avant, on voyait Simon sous son drap blanc et le plan d’après, on voit l’autre famille. Cette séquence les réunit donc de manière organique. Et puis la moto de Thomas renvoie aussi au vélo de Simon, à l’élan de vie du début et dont il a réussi a être le garant.

Les personnages utilisent une langue très technique, médicale, mais à d’autres moments, le film est complètement taiseux et se joue dans les silences. Pour moi, le cinéma est avant tout un art du non-dit, des corps en mouvement dans des espaces, que l’on cherche à déchiffrer. L’émotion se joue beaucoup au-delà de ce qui peut être dit. 

Le film est porté par une foi dans le concret : à force de le filmer, émerge quelque chose de l’invisible…
Oui, c’est quelque chose que j’ai appris en regardant les films de Pialat notamment.  Pour l’obtenir nous avons confronté ce travail d’extrême précision quasi documentaire à une sophistication de la lumière qui le magnifie. Avec Tom Harari mon chef opérateur, et Dan Bevan mon décorateur, on s’est beaucoup inspiré de la peinture du Caravage, et de certains films de Cronenberg, comme FAUX SEMBLANTS. 

Tout l’enjeu, encore une fois, était d’atteindre la frontière entre trivial et sacré : comment raconter qu’une greffe est à la fois quelque chose d’ultra matériel qui relève de la plomberie et de la couture et en même temps de la magie pure. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’un chirurgien a une position divine. Il prend la vie, il la donne, c’est complètement fou… J’ai essayé de transmettre la dimension métaphysique de cette expérience aussi en jouant sur les échelles de l’infiniment petit et de l’infiniment grand : être à hauteur de la couture d’une artère et en même temps regarder une ville depuis le ciel, passer de l’individu à la foule, à la société et au monde plus globalement avec le mystère du cycle de vie et de mort.

Où commence la vie ? Où s’arrête-t-elle? D’où aussi l’importance de la mer, sur laquelle commence le film, qui introduit cette idée de matrice. On vient tous de cet élément marin, qui tue quasiment cet enfant dans cette séquence d’ouverture. L’idée de la mort est très présente dans le surf et j’ai filmé cette scène comme l’annonciation de la mort de Simon, comme s’il avait la vision de sa propre fin.   

RÉPARER LES VIVANTS raconte aussi l’ampleur des moyens mis en œuvre par toute une communauté pour sauver une seule vie…
Le don d’organes se fonde vraiment sur un principe de solidarité, ne serait-ce que du point de vue du droit. En France, à partir du moment où tu n’as pas dit que tu étais opposé à donner tes organes, tu es un donneur potentiel. Ces principes structurent la pensée de notre société, du comment vivre ensemble.

L’idée qu’une communauté mette tout en œuvre pour qu’une vie se prolonge est très belle et je voulais montrer comment cela s’organise : affréter un avion, prévoir des taxis, des flics, des chirurgiens de pointe. Cela coûte de l’argent mais tout le monde y a droit. J’espère avoir fait un film humaniste qui redonne la sensation du lien, de ce que ça peut vouloir dire de se sentir appartenir à une famille, un groupe, à une société. Je trouve que c’est très important aujourd’hui par rapport à beaucoup de choses que l’on traverse.

Un cœur s’arrête de battre pour prolonger la vie d’un autre… c’est un grand voyage, pendant lequel l’individu reconnaît son appartenance à une chaîne, à un «Tout». Il est relié.  

Drame de Katell Quillévéré. 3,8 étoiles AlloCiné.


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr