Merci patron !

Pour Jocelyne et Serge Klur, rien ne va plus : leur usine fabriquait des costumes Kenzo (Groupe LVMH), à Poix-du-Nord, près de Valenciennes, mais elle a été délocalisée en Pologne. Voilà le couple au chômage, criblé de dettes, risquant désormais de perdre sa maison. C'est alors que François Ruffin, fondateur du journal Fakir, frappe à leur porte. Il est confiant : il va les sauver. Entouré d'un inspecteur des impôts belge, d'une bonne sœur rouge, de la déléguée CGT, et d'ex-vendeurs à la Samaritaine, il ira porter le cas Klur à l'assemblée générale de LVMH, bien décidé à toucher le cœur de son PDG, Bernard Arnault. Mais ces David frondeurs pourront-ils l'emporter contre un Goliath milliardaire ? Du suspense, de l'émotion, et de la franche rigolade. Nos pieds nickelés picards réussiront-ils à duper le premier groupe de luxe au monde, et l'homme le plus riche de France ?...  

 

 

Entretien avec François Ruffin, le réalisateur 

Dans quel contexte et pour quelles raisons est né Merci patron ?
En tant que journaliste pour différents supports, cela fait plus de seize ans que je couvre les fermetures d’usines. Vivant à Amiens, j’ai vu de nombreuses entreprises cesser leur activité, des gens occuper leurs locaux syndicaux, rencontré des personnes désespérées songeant à ouvrir leur bouteille de gaz. En abordant régulièrement ce sujet, j’ai été amené à croiser la route de Bernard Arnault et à dénoncer ses agissements. Il me restait encore pas mal de choses à dire mais j’avais envie de changer de support et de registre. J’avais déjà abordé le cinéma, réalisé deux trois choses pour le net et donc l’idée de faire un film s’est concrétisée.

À propos de registre, pour témoigner de ces drames, vous faites le choix de l’humour…
C’est vrai que la tentation de ce que je pourrais appeler la pleurniche est grande. Et dans un premier temps j’ai été dans cette forme de compassion. Puis j’ai publié des livres dans lesquels je faisais des propositions sur le plan politique, mettant en évidence l’abandon terrifiant dont étaient victimes les classes populaires. Se pose ensuite la question : comment, lorsque l’on traite au quotidien ces drames sociaux, se remobiliser et remobiliser les autres ? Comment continuer à être habité par un sentiment de révolte alors que ces fermetures sont devenues l’ordinaire ? Nous savons tous ce qui se passe, nous connaissons tous le principe de délocalisation vers un pays, puis un autre et encore un troisième… Et pourtant, nous ne faisons rien ou presque. Il me semblait que l’humour, qui fait partie de mon travail depuis longtemps (Là‑bas si j’y suis de Daniel Mermet sur France Inter) et que l’on retrouve chez un Michael Moore pouvait être une voie à explorer.

Qu’apporte-t-il selon vous ?
Déjà un plus dans la relation que j’ai avec les gens que je rencontre. Marie-Hélène Bourlard, déléguée CGT ou Catherine Thierry, bonne soeur et ancienne déléguée CFDT, qui sont dans le film, racontent souvent leur histoire. Le fait de les prendre à rebrousse‑poil en se faisant passer pour un avocat de Bernard Arnault, suscite de l’inattendu. Même si elles savent que c’est un jeu. Au moment où je revêts mon tee-shirt « I love Bernard » et où je tiens ce discours, j’emprunte celui des médias dominants, et cela leur paraît à la fois révoltant et insupportable. Si dans mes questions je suscite la compassion, j’enfonce le clou. Si je prends le contre‑pied, en demandant par exemple aux Klur s’ils cherchent vraiment du travail, cela produit de l’humour avec un risque – que j’assume – d’être pris pour un salopard. Mais cela remet de la vie chez la personne interrogée. Beaucoup plus que si je me contente de les accompagner dans leur malheur.

Une provocation complice qui modifie grandement leur discours…
L’idée c’est d’énoncer une pensée libérale dominante mais, pour une fois, en situation, afin de voir à quel point elle ne tient pas debout. Ma parole devant être contrée, je suis certain que j’obtiens des réponses que je n’aurais pas eues avec une question ou un commentaire purement empathiques. Et puis je crois que ce rire est un début d’action. J’ai bien conscience que le journal Fakir avec ses 15 000 exemplaires ne va pas changer la face du monde et que, contrairement à un papier dans le Monde diplomatique ou une chronique sur France Inter, ça ne va pas toucher l’élite du pays. Alors parfois, surtout sur les sujets qui vous tiennent particulièrement à coeur, il faut savoir passer d’observateur à acteur. Ce qui est pour moi une continuité du travail d’engagement. Et, par ce biais, les gens que je rencontre deviennent à leur tour acteurs du film, et d’une certaine manière de leur propre vie. Même si, de leur mobilisation à leur quête ininterrompue pour trouver du travail, ils n’ont jamais cessé de l’être. 

Ce côté David contre Goliath semble incroyable. Comment un groupe comme LVMH peut-il redouter une petite association comme Fakir ?
Je crois que, dès que l’on s’organise un peu, ils ont peur de nous. C’est très sensible dans le film. Historiquement par exemple, la classe prolétarienne anglaise s’est tout d’abord mobilisée en petites formations qui ont fini par faire gagner certains droits aux ouvriers. Je pense que la gauche se construit à travers ses défaites. Elles font nos victoires. Et dans ce film il y en a une en particulier, que j’ai choisie de garder, c’est celle de la première assemblée générale. On a travaillé pendant trois quatre mois, contacté des dizaines de personnes, nous nous sommes renseignés sur la manière d’acheter des actions pour pouvoir aller en assemblée, nous sommes arrivés à plusieurs dizaines et pourtant, une fois sur place, ils nous ont devancés car nous avions été infiltrés. Ce fut pour nous une défaite cuisante mais étrangement je crois qu’ils ont eu peur de notre action. Car elle pouvait être une première locomotive. Si petite soit-elle. Et puis je crois qu’il y a une crainte sur le plan individuel. Je n’ai pas peur de rencontrer Bernard Arnault. Lui en revanche redoute de me croiser. Je pense que, comme tant d’autres, il s’est construit un univers de solitude qui fait qu’il s’est exclu lui-même de la réalité sociale. Et l’un de mes objectifs avec ce film est de l’y réinsérer.

Documentaire de François Ruffin. 4,4 étoiles AlloCiné.

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