Diamant noir

Pier Ulmann vivote à Paris, entre chantiers et larcins qu’il commet pour le compte de Rachid, sa seule "famille". Son histoire le rattrape le jour où son père est retrouvé mort dans la rue, après une longue déchéance. Bête noire d’une riche famille de diamantaires basée à Anvers, il ne lui laisse rien, à part l'histoire de son bannissement par les Ulmann et une soif amère de vengeance. Sur l’invitation de son cousin Gabi, Pier se rend à Anvers pour rénover les bureaux de la prestigieuse firme Ulmann. La consigne de Rachid est simple : « Tu vas là-bas pour voir, et pour prendre. » Mais un diamant a beaucoup de facettes…

Entretien avec Arthur Harari le réalisateur 

Comment vous est venue l’idée de faire un film dans le milieu des diamantaires ?
L’origine du projet précède le choix du milieu. Elle vient d’un producteur, Grégoire Debailly, qui avait lu un article dans Libération sur la recrudescence des braquages en Europe. Avec l’aide d’Olivier Séror, réalisateur, puis des scénaristes Vincent Poymiro et Agnès Feuvre, j’ai fait dériver la proposition en partant sur l’idée d’une variation autour du thème d’Hamlet, l’histoire d’un jeune homme qui veut venger son père en détruisant sa famille et qui, pour cela, entre dans un milieu qu’il ne connaît pas. Nous avions pensé d’abord à la ville de La Chaux-de-Fonds en Suisse, où se fabriquent les montres de luxe, et qui offrait un décor cinématographique et social assez étonnant. Et puis, finalement, le film se passe à Anvers… et c’est avec un autre producteur, David Thion des Films Pelléas, que je l’ai fait. 

On peut voir dans votre film la marque de certains de ces croisements, en premier lieu avec la tragédie familiale.
Oui, c’est une tragédie familiale qui emprunte les chemins du film noir. Ce qui n’est pas particulièrement moderne en soi, vu qu’Œdipe Roi de Sophocle est un parfait film noir ! La question existentielle pour Pier c’est celle du père : il l’a peu et mal connu, mais il hérite de quelque chose de trop pesant, de trop « symbolique » pour ses seules épaules, et qui ne le laisse pas libre. Il est presque téléguidé, au premier niveau par Rachid – qui a concrètement pris la place paternelle – et à un niveau plus mental et symbolique, par son père. Veut-il ou doit-il obtenir réparation ? Il ne pourrait répondre à la question.

Tout l’enjeu du film était de lui dessiner un chemin tragique mais libératoire : en croyant réparer l’offense faite à son père, il répare, dans le sang, son propre rapport maladif à la figure du père. Et cela coûte la vie à ses amis, qui ont eux-mêmes joué avec le feu. C’est une tragédie, mais impure, dans la mesure où Pier n’est pas le jouet du destin jusqu’à la mort ou la damnation. On peut voir le destin agir dans le film, ou ne pas le voir. D’autres forces sont en jeu : l’héritage culturel et symbolique, l’immaturité affective, l’humiliation sociale, l’envie, le désir… la libido au sens large… plein de choses potentiellement explosives ! 

Il y a un aspect documentaire dans le film…
J’y tenais beaucoup. Grâce aux « bonnes personnes » dont je vous ai parlé, j’ai pu avoir accès à l’un des ateliers de taille les plus prestigieux du monde, prendre des notes, enregistrer des témoignages. Tout ça a nourri l’histoire de façon très naturelle. Le casse lui-même devait avoir une dimension réaliste, en prenant le parti d’une forme d’artisanat et non de la prouesse technologique. L’un des rares films de casse où j’ai trouvé cette dimension est Le solitaire de Michael Mann, qui transpire un magnifique réalisme sale.

Le mélange de stylisation formelle et de réalisme brut est par ailleurs une des spécificités historiques du film noir, et pas qu’américain : c’est magistral dans La bête humaine de Renoir, qui est à mes yeux le plus grand film noir français. Je rêvais de suivre ces exemples excitants, et j’ai eu la chance de pouvoir tourner dans un des derniers (sinon le dernier) ateliers du quartier diamantaire situé en dehors du périmètre sécurisé. Nous avions un rapport direct avec les patrons du lieu, sans avoir à passer par les autorités du quartier, évidemment très tièdes vis-à-vis d’un tel tournage. Cette immersion a été précieuse pour obtenir ce réalisme concret dans lequel je souhaitais tremper le romanesque formel du film. 

L’atmosphère visuelle du film est singulière, en terme de couleurs notamment. Aviez-vous des références ?
Oui. Avec le chef opérateur, mon frère Tom Harari, nous voulions que l’image du film ait quelque chose de tranché, à la fois lyrique et incarné. Nous avons vu beaucoup de films classiques américains, notamment de Vincente Minnelli (Celui par qui le scandale arrive) et d’Elia Kazan (La fièvre dans le sang). Et nous nous sommes aperçus que même chez quelqu’un que l’on adore comme John Cassavetes, dans Opening night, Love streams ou Meurtre d’un bookmaker chinois par exemple, il y a un héritage fort de ce courant formel du mélodrame américain, où les contrastes sont très marqués, les directions de lumière très affirmées et les couleurs éclatantes.

A mes yeux, il n’y a aucune opposition entre une certaine inspiration réaliste et la stylisation la plus osée. Le lyrisme que l’on cherchait s’est aussi nourri d’influences plus baroques voire maniéristes, de De Palma à Sergio Leone en passant par Verhoeven et Fassbinder… Cette recherche d’un lyrisme qui fasse pénétrer le spectateur dans un monde romanesque, elle est bien sûr aussi passée par la musique. Je voulais un thème obsédant, mais en essayant de ne pas verser dans une orchestration opératique boursouflée. J’avais une amorce de thème en tête depuis l’écriture du scénario, et je l’ai transmise (en la sifflant !) au compositeur Olivier Marguerit. Il l’a développée et a amené deux autres thèmes, et l’instrumentation qu’il a choisie, avec des choses qu’on n’entend plus si souvent comme la flûte, le violon ou la trompette, mais utilisés de manière presque dissonante, m’a enthousiasmé. Ça participe énormément à la dimension à la fois émotionnelle et mentale du film, mais aussi à son identité formelle.  

Avez-vous voulu faire un film noir ? 
Oui. Ma cinéphilie est née d’une rétrospective Warner Bros à Beaubourg, en 1990. Je crois que le premier film qu’on y a vu avec mon frère aîné est Le faucon Maltais de Huston, avec Bogart (dont j’ai appris depuis qu’il était considéré comme le premier opus du genre stricto sensu) et j’ai développé une telle passion pour le film noir que j’ai eu pendant des années une liste dans mon portefeuille de tous les films du genre que je devais voir. Je les entourais quand c’était fait !

C’est un courant qui a continué de nourrir ma cinéphilie, même si elle s’est ensuite ouverte plus largement. C’est une passion d’enfance, et le cinéma concerne d’abord et finalement l’enfance, je crois. Ce que j’aime dans le film noir, c’est l’ambiguïté. Elle touche tout : l’intrigue, l’image, le jeu, les sentiments, le sens, la morale. C’est une autre métaphore qu’offre le diamant : comment la multiplicité des facettes compose une réalité à laquelle on ne peut pas assigner une définition simple. Quand on regarde un diamant taillé de près, c’est frappant : on ne sait pas comment le regarder ! Pour une pierre censée incarner la pureté et la clarté, c’est un paradoxe étrange…

Concernant le film noir, si je poussais un peu plus, je  dirais que l’ambiguïté va jusqu’au genre lui-même : dans son ADN, il y a une impureté qui le rend particulièrement susceptible de mutations et de fusions. Il y a des passerelles permanentes avec le mélodrame, le film d’amour, ou encore avec le western, le film politique ou social, et même la comédie…

Entretien mené par François Guérif. Drame d'Arthur Harari. 4 étoiles AlloCiné.

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