Jamais soumise de Zohra K.

Zohra a seize ans quand sa vie bascule. Pour un coup de pied dans la porte de son appartement de La Courneuve, ses parents l'envoient au village familial, en Algérie, pour la jeter dans les griffes d'un ogre. Vendue cent dinars et mariée de force à un mûr et lointain cousin, elle sera battue, humiliée et violée durant vingt longues années avant de réussir son évasion, puis celle de ses filles, déjà victimes... 

Son histoire glaçante est celle d'innombrables femmes asservies et brisées par un système ancestral, où l'inceste est pratique courante. Reléguée au rang d'esclave sexuelle et de souffre-douleur, la terreur permanente qu'elle subit ne saura venir à bout de sa détermination acharnée à sauver ses enfants et recouvrer la liberté. 

Jamais soumise est le témoignage déchirant d'une survivante qui révèle l'angle mort de la condition de milliers de femmes, bâillonnées par l'obscurantisme. Dénuée de tout désir de revanche envers ses bourreaux, Zohra place son récit intime en pierre angulaire des oeuvres réconciliatrices. 

Extraits. Chapitre XVII, P 199- 201
1998, ma décision est prise, je n’y retournerai plus. Je déclare ma guerre, sans savoir vers quelle victoire elle va me mener. « Envole-moi », de Jean-Jacques Goldman, est mon hymne. Il me porte, me parle, me raconte. Je ne sais en ce début d’année ni comment, ni où, mais je dois m’envoler. Je pense à la mort avec qui je flirte toujours un peu plus, mais face à laquelle toujours je conclus : « Non pas maintenant, pas ici, pas comme ça, pas dans le silence ! » 

Chez mes parents, j’ai le temps de réorganiser mes idées. Je sais que le mariage religieux est nul s’il n’y a pas eu consommation pendant quatre mois. C’est idiot, mais je m’agrippe aux plus maigres espoirs pour ne plus qu’il m’approche ni ne me touche. Je compte en secret les heures, les jours, les semaines et les mois. Je respire juste ce qu’il faut pour vivre. Je prends le moins de place possible dans la maison paternelle de quatre cents mètres carrés ; j’y rôde. De ma chambre au couloir, du couloir à la cuisine, je sursaute à chaque sonnerie de téléphone, je tends l’oreille au bruit de la porte d’entrée, je redoute de voir arriver la belle-famille. Quatre mois passent. Je suis à moitié libérée. Ils m’autorisent durant cette période à garder mes filles, qui comme moi, rasent les murs. Je saigne pour elles. 

Un jour où mon père gifle Ilhem, je craque, j’explose contre lui. Ma mère assiste à la scène. Elle me voit défendre toutes griffes dehors ma fille, elle se sent coupable, et trouve opportun de me dire que, de tous ses enfants, j’ai été celle qu’elle avait aimé le plus. Je reçois ce gros paquet d’amour sur les bras, un amour que j’avais toute ma vie mendié. Et c’est aujourd’hui, détruite, sans objectif dans ma vie de femme, avec trois filles à sauver, qu’elle me l’avoue. Je ne sais comment le recevoir. 

Désolée maman, cet amour est trop lourd pour moi. Plus le temps de m’encombrer, et je n’en ai plus besoin. J’ai un nouveau moteur : la colère, pour ces années de ma vie qu’on m’a volées.

Quatre mois de répit, c’est maigre face à ces seize années. Il a fallu quatre mois à ma belle-famille pour comprendre que je n’étais pas la coupable qu’ils croyaient. Ils découvrent la véritable personnalité de mon époux, et décident d’en faire part à mon père. Il en revient fièrement, disant à ma mère que je ne suis pas responsable de ce qui l’atteint comme un déshonneur. La famille est invitée à passer le soir même afin de trouver un arrangement, et récupérer ce fardeau que je suis, avec mes enfants. À partir de ce soir-là, commence mon année de résistance. Ils sont prêts à toutes les aberrations pour me ramener dans ma prison, mais moi, je suis prête à tous les sacrifices pour ne plus y retourner. Je réunis mes trois filles dans ma chambre et leur explique que quoi qu’elles m’entendent dire, elles ne doivent pas en tenir compte. Je les conjure de croire que je les aime et que je me battrai pour qu’un jour nous soyons réunies, libres et heureuses. Le jour où je prononce ce serment, je ne sais ni comment je vais tenir cette promesse, ni où nous allons vivre, mais je me dois d’y croire très fort. Un soir sur deux, toute la tribu se relaie pour me convaincre de rentrer. Une vieille cousine me dit : 

– Porte ton foulard sur le front en signe de résignation et rentre élever tes enfants. Sans toi, elles sont mortes.

Je l’ai examinée, son foulard cachait ses sourcils.

– Non, jamais, pas moi ! 

Auteur Zohra K. Genre document. 280 pages. Editions Ring.


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