La isla minima

Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au cœur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur...  

Entretien avec Alberto Rodríguez, le réalisateur 

Comme votre précédent film, GRUPO 7, se déroule au début des années 80. Pourquoi cette période vous fascine-t-elle tant ?
C’est le début de cette phase qu’on appelle chez nous “ la transición democrática” (la transition démocratique) : les cinq années qui ont suivi la mort de Franco en 1975. Une période incontournable pour comprendre ce qu’est devenu le pays et pourquoi nous sommes tombés dans les mêmes travers. J’avais dix ans lorsqu’a eu lieu la tentative de coup d’État militaire du 23 février 1981. J’en ai un souvenir assez flou, en fait. Je me souviens juste que le lendemain, on n’a pas eu école et qu’avec ma sœur, on a senti nos parents très nerveux. Ils ont même songé à fuir - on ne l’a su que plus tard. À la télévision, on voyait les tanks patrouiller dans les rues de Valence, ce qui a immédiatement rappelé de terribles souvenirs aux gens de leur génération. De fait, beaucoup de leurs amis ont pris peur et sont partis immédiatement en direction de la frontière. En laissant tout. Comme en 1936, au début de la guerre civile.

La première ébauche de votre scénario date de l’année 2000. Sur quoi était-elle construite ?
L’élément fondateur du film, ce sont deux documentaires télé absolument passionnants et assez critiques, consacrés justement à cette période sensible. La transition nous a été vendue par les médias comme une sorte d’instant idéal, nous faisant croire que notre pays était passé des ténèbres au grand jour en un claquement de doigts. Plus de misère, plus d’émigration, plus de chômage. Rien. Envolés ! Les nostalgiques de la dictature qui célébraient chaque année la victoire sur les “Rouges “ ? Évaporés eux aussi. Mais où étaient-ils passés, c’est une autre histoire. Un vrai conte de fées. Du pur marketing !

Dans votre film , l’ambiguïté de cette transition supposée “ démocratique ” s’illustre à travers les rapports entre deux flics que tout oppose.
Oui, ils sont représentatifs de ces “ deux Espagnes ” dont parlait le poète Antonio Machado. D’un côté, le vieil agent, au passé trouble, formé dans les rangs de la police politique de Franco - sa “Gestapo ” (le mot est prononcé dans le film); et de l’autre, le jeune sorti de l’école de police avec des idéaux plein la tête et la démocratie comme étendard. Le premier est mû par la peur de mourir, le second par une ambition dévorante. Pour autant, il n’y a selon moi, ni “gentil ”, ni “ méchant “ dans cette histoire. L’un n’est pas tout noir et ni l’autre tout blanc, ce serait trop simple. Pour autant, la question que soulève le film est frontale : notre jeune flic, en essayant de passer l’éponge sur les casseroles de son vieux collègue fait-il le bon choix ? Quel avenir pour nous, pour l’idée de justice ? Le compromis est-il la solution ? Et à quel prix ? Ces trente dernières années, nos hommes politiques, de droite comme de gauche, se sont concertés pour “aller de l’avant ” par peur de “ rouvrir des blessures ” comme ils disent couramment. Mais peut-être suffirait-il de les soigner ? Pour qu’elles cicatrisent enfin. La force du film est de présenter un pur film de genre avec sa part de divertissement, mais d’offrir en sous-texte une lecture politico-sociale passionnante. Le public y a-t-il été sensible ? Je suis un enfant de la contre-culture et j’assume la part de critique que véhicule le film. Mais sans l’avoir jamais mise en avant durant la période de promotion en Espagne. Il ne s’agissait pas d’effrayer le spectateur potentiel attiré par le thriller qu’est d’abord LA ISLA MINIMA. Mais il est vrai cependant qu’une large partie du public l’a perçue et appréciée.

Quels sont les cinéastes qui ont pu vous influencer ici ?
Mes influences sont multiples. Je suis une véritable éponge! J’ai tout vu, avec mon père qui était technicien à la télévision et qui le week-end, était projectionniste. En tant que spectateur lambda, je suis fan de films de genre depuis toujours.  Je dirais dans le désordre : MEMORIES OF MURDER de Bong Joon-Ho, dont l’action se situe aussi dans les rizières sud-coréennes. LE CORBEAU d’Henri-Georges Clouzot qui est l’histoire d’un village où, comme dans le nôtre, tout le monde a quelque chose à cacher. Et puis, UN HOMME EST PASSÉ de John Sturges, avec Spencer Tracy : en première lecture c’est juste un thriller mais le sujet de fond est le secret qui a entouré le traitement réservé aux prisonniers japonais, juste après Pearl Harbor. 

Drame policier d’ Alberto Rodríguez. Dix Goyas 2015 dont meilleur film espagnol, meilleur réalisateur et meilleur scenario.

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