Un poste inadapté équivaut à un harcèlement moral

Une salariée a repris son travail après avoir été déclarée apte avec la mention « éviter le port de charges lourdes de plus de 17 kg ». Ses employeurs l’ont maintenu à son poste lequel nécessitait de porter des charges d’un poids supérieur. La salariée avait alors constaté la rupture du contrat de travail pour dégradation de ses conditions de travail et harcèlement moral et avait demandé au conseil des prud’hommes que la rupture produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges de la Cour de cassation lui ont donné raison considérant que le refus de l’employeur d’adapter son poste de travail et lui confier des taches dépassant ses capacités pouvait nuire à sa santé et constituait de ce fait un harcèlement moral...

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale du 07/01/15. Pourvoi n° 13-17.602 

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant : 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 21 mars 2013), que Mme X... a été engagée le 30 janvier 1989 par la société Biousse devenue société Peinture industrielle émail au four Ets Biousse ; qu'elle a été affectée en avril 2009 à un poste consistant à approvisionner une cabine de peinture, à effectuer un contrôle qualité puis à réaliser l'emballage et l'étiquetage des produits ; qu'à la suite d'un premier arrêt de travail, elle a été déclarée, le 11 mai 2009, apte à la reprise par le médecin du travail, avec recommandation d'éviter le port et les manutentions de charges lourdes puis, à l'issue d'un second arrêt de travail et, aux termes d'un avis du 30 juin 2009, apte à la reprise avec la mention « éviter le port de charges lourdes de plus de 17 kg » ; que la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 24 janvier 2011 pour demander le paiement de diverses sommes relatives tant à l'exécution qu'à la rupture de son contrat de travail ; que par lettre du 31 janvier 2011, elle a notifié à son employeur l'impossibilité de continuer son activité dans l'entreprise pour dégradation de ses conditions de travail et harcèlement moral puis a demandé à la juridiction prud'homale de décider que cette rupture du contrat de travail était intervenue aux torts de l'employeur ; 

Sur le premier moyen : 

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par la salariée le 31 janvier 2011 produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer des dommages-intérêts et une indemnité de licenciement, alors, selon le moyen : 

1°/ que l'avis du médecin du travail quant à l'aptitude du salarié à son poste de travail et, l'adéquation de ce poste aux exigences de protection de la santé du salarié l'occupant, s'il n'a pas été utilement contesté devant les autorités administratives compétentes, s'impose aux parties et au juge prud'homal ; qu'il n'appartient pas à ce dernier de substituer son appréciation à celle du médecin du travail dès lors qu'en cas de difficulté ou de désaccord sur la portée de l'avis délivré par ce praticien, le salarié ou l'employeur peuvent exercer le recours prévu par l'article L. 4624-1 du code du travail ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la cour d'appel que le médecin du travail, après deux études du poste de travail de Mme X..., l'avait jugé compatible avec les aptitudes physiques de la salariée, et avait déclaré celle-ci apte à l'occuper ; qu'en substituant son avis à celui du médecin du travail pour déclarer que la table de travail était inadaptée à la morphologie de la salariée et que l'absence d'aspiration pour les pièces produisant de la poussière de plomb de sorte que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité sur ce point, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4624-1 du code du travail ; 

2°/ que l'avis du médecin du travail quant à l'aptitude du salarié à son poste de travail et, l'adéquation de ce poste aux exigences de protection de la santé du salarié l'occupant, s'il n'a pas été utilement contesté devant les autorités administratives compétentes, s'impose aux parties et au juge prud'homal ; qu'il n'appartient pas à ce dernier de substituer son appréciation à celle du médecin du travail dès lors qu'en cas de difficulté ou de désaccord sur la portée de l'avis délivré par le médecin du travail, le salarié ou l'employeur peuvent exercer le recours prévu par l'article L. 4624-1 du code du travail ; que dans l'hypothèse où le salarié conteste la compatibilité du poste auquel il est affecté avec les recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de solliciter à nouveau l'avis de ce dernier ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'après réception du courrier du 4 juin 2009 contestant une première fois la compatibilité de son poste de travail, le médecin du travail avait procédé, à la demande de l'employeur, à une étude de poste à l'issue de laquelle il avait conclu à cette compatibilité (certificat du 22 juin 2009), puis qu'à la réception du courrier de prise d'acte de Mme X... contestant itérativement la compatibilité de son poste de travail avec ses aptitudes physiques et les recommandations du médecin du travail, l'employeur avait de nouveau sollicité celui-ci qui, dans un second courrier du 21 septembre 2011, n'ayant fait l'objet d'aucun recours, avait expressément confirmé, d'une part, que « les conditions de travail, l'aménagement du poste et les charges manutentionnées à ce poste (lui) paraiss (aient) compatibles et conformes à (ses) préconisations à l'issue de la visite médicale de Mme X... en date du 30 juin 2009 », d'autre part, que « son poste de travail (était) compatible avec son état de santé dès lors que la restriction au port de charge limitées à 17 kg (était) respectée » ; qu'en imputant à la faute de l'employeur « une inadaptation permanente, pour Mme Corinne X... de ses conditions de travail, en tant que femme au surplus de petite taille » et « un manquement à ses obligations quant au type de travail demandé à Mme X... et aux conditions dans lesquelles elle était amenée à l'effectuer contraire, du moins durant un certain temps, aux préconisations du médecin du travail, de nature à mettre en jeu sa santé ¿ », la cour d'appel a violé derechef les articles L. 4121-1 et L. 4624-1 du code du travail ; 

Mais attendu qu'après avoir relevé que le médecin du travail avait, en son avis du 30 juin 2009, préconisé d'éviter à Mme X... le port de charges lourdes de plus de 17 kilogrammes, la cour d'appel, qui a constaté que le poste de travail de cette salariée comportait, de manière habituelle, un port de charges d'un poids excessif, contraire, au moins pendant un certain temps, aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'employeur avait gravement nui à la santé de l'intéressée, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; 

Sur le second moyen : 

Attendu que l'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que ne peut s'analyser en agissements répétés constitutifs de harcèlement moral une décision de l'employeur de maintenir, en dépit de ses protestations le salarié dans son poste de travail, déclaré conforme à ses aptitudes physiques par le médecin du travail ; qu'en déclarant la société Biousse coupable de harcèlement moral à l'encontre de Mme X... après avoir écarté les allégations de cette dernière relativement à « l'expression d'un dédain, d'un manque de considération, d'insultes de son chef » ou encore la délivrance d'« ordres au personnel de l'entreprise de ne pas (l') aider sous menace de sanction, de ne pas lui prêter une petite table, ou encore de ne pas lui adresser la parole » sur l'unique considération de ce qu'elle avait refusé d'adapter à ses exigences son poste de travail, déclaré conforme par le médecin du travail, et lui avait « confié de manière habituelle » des tâches dont ce praticien avait constaté qu'elle n'excédaient pas ses capacités, la cour d'appel a violé l'article L. 1152-1 du code du travail ; 

Mais attendu qu'ayant exactement retenu que l'attitude réitérée de l'employeur ayant entraîné la dégradation des conditions de travail de la salariée par le refus d'adapter son poste de travail et le fait de lui confier de manière habituelle une tâche dépassant ses capacités, mettait en jeu sa santé, la cour d'appel a caractérisé un harcèlement moral ; 

PAR CES MOTIFS : 

REJETTE le pourvoi ; 

Condamne la société Peinture industrielle émail au four Ets Biousse aux dépens ; 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ; 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille quinze.

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