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L’impôt progressif est-il efficace ? Si le Président de la République, François Hollande, n’a pas vraiment lancé de grande réforme fiscale comme il l’avait promis lors de sa campagne, il n’en a pas moins modifié considérablement la base de calcul de l’impôt sur le revenu. En effet, de nombreux revenus, préalablement taxés à part, ont intégré l’assiette de cet impôt. Pourquoi ? Parce que c’est un impôt progressif dont le taux s'accroît en fonction de la valeur de l'élément taxé, appelé base d'imposition ou assiette. En d'autres termes, plus la valeur de l'élément sur lequel est assujetti l'impôt est importante, plus le taux appliqué à cette valeur pour calculer l'impôt va être important. Par exemple si un revenu annuel de 20 000 € est taxé à 10 %, un revenu annuel de 30 000 € le sera à 15 %. En clair une personne trois fois plus riche qu'une autre est, par exemple, amenée à payer cinq fois plus d'impôt que l'autre...
Motivations Valeur marginale « Les sujets d'un État doivent contribuer au soutien du gouvernement, chacun le plus possible en proportion de ses facultés, c'est-à-dire en proportion du revenu dont il jouit sous la protection de l'État. » Le sacrifice dont il est question ici n'est pas le montant prélevé par l'impôt mais l'utilité qui est associée à ce montant, c'est-à-dire le bien-être qu'auraient apporté les biens achetés grâce à cet argent. Selon la théorie marginaliste, cette capacité contributive est supposée croître plus vite que le revenu. En économie, l'utilité marginale d'un bien ou d'un service, est l'utilité qu'un agent économique tirera de la consommation d'une quantité supplémentaire de ce bien ou ce service. Celle-ci décroît avec la quantité de biens déjà consommée. Selon cette théorie, la valeur du 1000e euro gagné est donc plus faible que celle du 100e, et donc le préjudice qu'entraîne sa captation par l'impôt est moins important. Ainsi, pour Léon Faucher qui au XIXe siècle siècle s'opposait au principe de l'impôt sur le revenu : « La pensée fondamentale de l'impôt sur le revenu consiste à exempter le nécessaire pour ne taxer que le superflu. » Le principal argument opposé à l'application du principe de l'utilité marginale à l'impôt, est que celui-ci compare les utilités relatives pour une personne donnée. Pour les opposants à la théorie cardinale de l'utilité, la valeur attribuée à la chose taxée est au contraire variable d'un individu à l'autre. Imaginons par exemple deux collègues qui ont des occupations extra-professionnelles différentes : le premier est très pris par une activité qui ne demande pas de grosses dépenses et qui lui permet même de faire des économies, par exemple le jardinage, alors que le second est un adepte du saut en parachute, un loisir auquel il ne peut s'adonner que de temps en temps car les sauts sont onéreux. Supposons que le premier choisisse de travailler à temps partiel pour pouvoir se consacrer davantage à son potager ; on peut alors se demander pourquoi son salaire horaire devrait être moins taxé que celui de son confrère alors même qu'il lui accorde une valeur (comparativement à celle de son temps libre) plus faible. Puisque l'évolution de la valeur marginale est variable d'un individu à l'autre, la façon dont sont taxées les différentes tranches de revenu est donc nécessairement arbitraire. Redistribution Pour les personnes qui estiment que les inégalités de revenu sont socialement nuisibles, l'impôt progressif associé à une politique de l'État-providence permet une redistribution des revenus qui limite l'écart de ressources entre les ménages. La progressivité est donc motivée par le concept d'équité verticale : l’idée selon laquelle les personnes disposant des revenus les plus élevés doivent supporter une charge fiscale plus importante. Mais pour ceux qui considèrent que la redistribution n'est qu'une forme de charité obligatoire et donc illégitime, la véritable justice sociale serait que chacun contribue en fonction de ses revenus aux dépenses publiques. Ils sont donc favorables à un impôt à taux unique. D'autres poussent l'opposition encore plus avant. Estimant que chacun devrait contribuer au prorata de son utilisation des biens publics, mais que cette utilisation est impossible à calculer et probablement proche d'un individu à l'autre, ils proposent un impôt personnel. Celui-ci pourrait prendre la forme d'une participation financière ou laborieuse au choix de chacun, qui aurait la même valeur pour tous les contribuables. Utilisation des biens publics L'idée est donc que le financement d'un service public devrait uniquement reposer sur les personnes qui auraient été clientes de ce service s'il avait été privé, et pas sur ceux pour qui il aurait été un luxe superflu vu leur moyens. Par exemple contribuer au financement d'une piscine municipale peut être considéré comme légitime par quelqu'un qui aurait de toute façon dépensé cette somme pour des loisirs similaires, il sera beaucoup plus difficile à admettre par une personne qui devra limiter son budget chauffage pour payer sa part. Cette théorie est déjà avancée par Condorcet, l'un des premiers à étudier l'impôt progressif sur le revenu: « D'abord les dépenses publiques ne sont pas toutes rigoureusement nécessaires ; il en est qui ne sont qu'utiles ; et, dans ce cas, elles ont pour limites le point où l'utilité de la dépense devient égal au mal produit par la contribution. Or, il existe des dépenses dont l'utilité n'est au-dessus des privations occasionnées par l'impôt que pour ceux auxquels il n'ôte qu'un véritable superflu. » Cet argument est contrebalancé par le fait que les plus riches tendent à sous utiliser les biens publics qui sont substituables par des biens privés : par exemple, les squares municipaux sont surtout fréquentés par les personnes qui n'ont pas les moyens d'accéder à un logement avec jardin, et les piscines municipales par ceux qui n'ont pas les moyens d'avoir une piscine chez eux. Favoriser la consommation Pour les marxistes, limiter l'épargne des hauts revenus permet en outre de lutter contre l'accumulation du capital et l'apparition d'une classe de rentiers. Ainsi le Manifeste du Parti communiste de 1848 affirme « Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie », s'ensuit la présentation de diverses mesures à appliquer pour atteindre cet objectif, dont un « impôt fortement progressif. » Mais ceux qui estiment que l'épargne contribue à la croissance trouvent au contraire que la surtaxation des hauts revenus diminue les incitations à entreprendre et à investir. Elle empêche d'accumuler le capital permettant de développer de nouvelles entreprises, et favorise donc les industries existantes en érigeant des barrières à l'entrée limitant le développement de la concurrence. En France par exemple, le fait que les gros patrimoines qui s'étaient constitués durant le XIXe siècle n'ont jamais pu se relever des crises financières des années 1914-1945 est effectivement majoritairement dû à l'instauration de l'impôt progressif sur le revenu. Pourtant la part des revenus du capital par rapport à ceux du travail est restée relativement constante durant le XXe siècle. On doit donc imputer à l'impôt progressif non pas une diminution mais une déconcentration des patrimoines, concomitamment à l'essor du capitalisme financier au détriment du capitalisme industriel. Compensation des contributions indirectes On peut souligner en revanche que les produits de première nécessité (alimentation, médicaments…) sont taxés à un taux réduit dans la plupart des pays, et que le taux moyen de TVA payé par les contribuables aux revenus les plus faibles (pour lesquels les produits de première nécessité représentent une part plus importante de la consommation) est en conséquence inférieur au taux moyen de TVA payé par les contribuables aux revenus les plus élevés. Critiques Parmi les socialistes qui se sont opposés à la progressivité de l'impôt on peut citer Pierre Joseph Proudhon : « l'impôt progressif se résout, quoi qu'on fasse, en une défense de produire, en une confiscation, à moins que ce ne soit, pour le peuple, en une mystification. Ce serait l'arbitraire, sans limite et sans frein, donné au pouvoir sur tout ce que le droit moderne a affranchi des atteintes du pouvoir, la liberté, le travail, l'industrie, l'invention, et l'échange, la propriété, le crédit, l'épargne, si ce n'était la plus folle et la plus indigne des jongleries. » Efficacité Les recettes obtenues par l'imposition des tranches les plus élevées seraient ainsi plutôt faible et pourraient être obtenues avec un impôt proportionnel relativement modéré. En 2005 l'impôt sur le revenu français a rapporté 48,4 milliards d'euros, ce qui est équivalent à un impôt proportionnel de 10,3 % sur les revenus des foyers imposables (470,1 milliards d'euros) ou de 8,3 % sur les revenus de l'ensemble des français (585,8 milliards), ce qui est proche d'un impôt à taux unique comme celui de la contribution sociale généralisée. Une forte imposition tend par ailleurs à susciter la fraude que ce soit la dissimulation des sommes imposables ou leur évasion. Démotivation A contrario, le sentiment que les très hauts revenus sont davantage taxés peut favoriser l'acceptation de l'impôt par les classes moyennes. Au-delà d’un certain seuil, qui dépend de chaque individu, le taux d'imposition peut avoir un effet démotivant pour les contribuables qui ont le sentiment d'être soumis à un impôt punition. Cela peut provoquer des arbitrages différents entre travail et loisir voir entraîner le développement de l'économie souterraine. Pour les partisans des politiques de partage du travail, l'effet d'arbitrage est plutôt positif puisqu'il permet de lutter contre le chômage. Théorie de l'avantage comparatif En taxant fortement les revenus les plus élevés, l'impôt progressif s'oppose à cette logique. Par exemple un médecin pourra tirer un avantage strictement financier à bricoler lui-même sa maison plutôt que d'employer un artisan et d'ouvrir son cabinet pendant le temps correspondant. Pourtant sur un plan global il aurait été économiquement plus intéressant que chacun exerce sa profession : l'artisan aurait obtenu un meilleur résultat et les besoins médicaux des patients auraient pu être satisfaits, leur médecin n'étant plus occupé ailleurs. Un impôt confiscatoire Pour Léon Faucher, le risque est que : « les contribuables exemptés finissent par considérer l'exemption comme un droit, et par croire que l'opulence acquise, au-delà d'une certaine limite, est une espèce de patrimoine public sur lequel l'État, dans les circonstances urgentes, peut peser et prendre à volonté. » Surtaxation des revenus irréguliers Ce problème est pris en compte par l'administration fiscale française qui, par des mécanismes comme le système du quotient, permet d'étaler des revenus exceptionnels comme les indemnités de licenciement, la cession d'un fonds de commerce… En contrepartie, la progressivité permet également de lisser les pertes exceptionnelles. Inquisition fiscale Il est cependant possible d'obtenir une forme de progressivité dans certains impôts indirects en taxant plus fortement les dépenses somptuaires ou les produits de luxe et en appliquant un taux réduit sur les dépenses de première nécessité. C'est par exemple le cas de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Morcellement Une telle pratique peut être contraire à l'efficacité économique. Ainsi dans notre exemple l'exploitant devra construire deux bâtiments agricoles, gérer deux comptabilités, etc. Effet de l'inflation Quotient familial Il s'agit de savoir s'il est plus équitable de taxer chaque individu nominativement ou de prendre en compte les revenus globaux du foyer, ce qui est plus favorable pour les conjoints dont les revenus sont très dissemblables. L’impôt progressif est-il efficace ? A vous de juger... Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : Nikolai Sorokin - Fotolia.com. Pour vous conseiller sur la fiscalité, des experts comptables : 60270 - PATRICK GAUTIER EXPERTISE http://www.expert-comptable-chantilly-60.com Voir toutes les newsletters : www.haoui.com Pour les professionnels : HaOui.fr |