Crosswind, la croisée des vents

Le 14 juin 1941, les familles estoniennes sont chassées de leurs foyers, sur ordre de Staline. Erna, une jeune mère de famille, est envoyée en Sibérie avec sa petite fille, loin de son mari. Durant 15 ans, elle lui écrira pour lui raconter la peur, la faim, la solitude, sans jamais perdre l’espoir de le retrouver. «Crosswind» met en scène ses lettres d’une façon inédite... 

Entretien avec Martti Helde, le réalisateur

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser aux déportations d’Estoniens en Sibérie, du temps de Staline ?
D’abord, il y a eu beaucoup de sujets écrits autour de la commémoration de ces évènements, à l’occasion du soixante dixième anniversaire de l’invasion soviétique, en 2011. D’autre part, j ’ai un grand-père qui est parti faire la deuxième guerre mondiale alors qu’il avait tout juste dix-neuf ans. Il a perdu une jambe, a été amputé, puis arrêté par les Russes et envoyé dans un camp en Sibérie. J’ai grandi en l’entendant parler de la guerre, des Russes, des camps de prisonniers. Tout cela m’était devenu presque familier. Mon grand-père était quelqu’un d’exceptionnel. Après la guerre, il est devenu avocat, puis des années plus tard, il a choisi de devenir prêtre. Il a eu une grande influence sur moi. A sa mort, j ’ai compris que, comme lui, les rares témoins encore vivants allaient disparaître et qu’il n’y aurait bientôt aucune trace de leurs témoignages. J’ai donc décidé de faire un film sur ce sujet.

De quelle documentation disposiez-vous ?
Quasiment rien n’existe. Il n’y a aucun film, aucun documentaire sur les camps en Sibérie, aucune photo non plus, car les Russes, contrairement aux Allemands, ne faisaient pas d’archives. Alors j ’ai consacré une année à lire tous les témoignages biographiques existants sur le sujet, à rencontrer les survivants qui acceptaient de parler. J’ai fouillé les archives, et c’est ainsi que j’ai pu lire les lettres qu’Erna avait écrites, mais jamais envoyées, puisqu’elle ignorait où se trouvait son mari. Le miracle est qu’elle ait conservé ses lettres. C’était une femme assez incroyable pour son époque, car, dans les années quarante, être mariée, mère de famille, et poursuivre des études de philosophie, tout cela montre à quel point elle avait une personnalité, une force hors du commun. 

C’est la lecture de ces lettres qui a déterminé la forme du film ?
En lisant, dans ses lettres, la description qu’elle fait du temps, la façon dont elle explique que pour elle, le temps s’est arrêté en Sibérie, et que sa seule réalité, ce sont les souvenirs qu’elle a du passé, en lisant ce passage je me suis dit : « Très bien, dans ce cas je vais filmer ce qu’elle décrit. Je vais figer le temps, de façon à ce que le spectateur ressente exactement ce qu’elle décrit. » Malheureusement, il y a sans doute des lettres qui manquent, donc j’ai dû en rallonger certaines. J’ai également dû écrire la lettre de son mari. Son parcours est facile à imaginer. Le système soviétique appliquait un principe simple : il fallait séparer les familles, pour les affaiblir. Donc, une fois arrêtées, les familles étaient emmenées à la gare. Les hommes montaient dans un wagon marqué A, comme « Arrestations », les femmes et les enfants montaient dans les autres voitures. Et, au passage de la frontière, on détachait du convoi les wagons des hommes. En fait, le quai de la gare était la dernière fois où les hommes voyaient leurs familles. 90% d’entre eux étaient ensuite exécutés dans un camp de prisonniers. On ne peut même pas dire que c’était parce qu’ils étaient des opposants au régime. Simplement, ils étaient d’une autre nationalité, et cela suffisait pour en faire un ennemi des Soviétiques. 

Drame de Martti Helde. Prix du public au Festival Internation de Göteborg. 

Pour investir dans des films de cinéma :

75008 - CINÉFEEL PROD http://www.cinefeelprod.com


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr