Les chiens errants, grand prix du Jury, Mostra de Venise 2013

Hsiao Kang est un bon à rien dont l’unique activité lucrative est de faire l’homme sandwich dans les rues de Taipei. Il fume et pisse au milieu des rues qui déversent continuellement leurs flots de voitures et de piétons. Ses deux enfants sont les seules personnes qu’il fréquente. Ils mangent, se lavent les dents, s’habillent et dorment ensemble. Ils n’ont ni eau, ni électricité et dorment sur le même matelas, blottis les uns contre les autres avec un chou. La ville entière est devenue le terrain de jeu de bandes de chiens errants et la rivière est loin, très loin. Une nuit de tempête, Hsiao-Kang décide d’emmener ses enfants pour une balade en bateau…

Tsai Ming-Liang, le réalisateur
« Il y a dix ans, j’ai vu, sur une artère de Taipei, un homme qui tenait un panneau publicitaire pour des voyages organisés, immobile, près d’un feu rouge. Cette vision m’a frappé et interrogé.

Combien de temps va-t-il rester là ? Combien gagne-t-il ? Où va-t-il aux toilettes ? Et si des amis ou des membres de sa famille passent par là ? Aura-t-il honte ? À quoi pense-t-il ? Il est tel un poteau téléphonique, un mur ou un arbre.

Personne ne le remarque et il ne s’en émeut pas.

Peu de temps après, la pratique s’est développée et ces hommes-sandwichs portant haut des annonces immobilières font aujourd’hui partie intégrante du paysage de Taipei. Le chômage augmente et nombre de gens adoptent cette activité pour survivre. Comme si leur propre temps n’avait plus de valeur.

J’ai alors imaginé Hsiao-Kang incarnant un de ces personnages. Il y a trois ans, j’ai reçu un scénario qui traitait du chômage et de la violence domestique chez les quinquagénaires. J’ai alors repensé à cet homme que j’avais vu dans la rue…

Les hommes-sandwichs ont droit à une pause de dix minutes toutes les cinquante minutes, pendant laquelle ils peuvent boire ou aller aux toilettes. Ils travaillent huit heures par jour à tenir une pancarte et ne peuvent rien faire d’autre. J’en ai vu certains marmonner dans leurs barbes, mais je n’ai jamais réussi à comprendre ce qu’ils disaient. Dans le film, j’ai fait chanter à Hsiao Kang Man Jiang Hong - littéralement Une rivière remplie de rouge.

C’est un poème patriotique de Yue Fei, le célèbre général de la dynastie Song qui a lutté contre l’invasion des Jin au XIIème siècle. Le poème exprime la loyauté à toute épreuve du général et sa frustration face à son incapacité à accomplir sa mission. Tous les Taiwanais adultes connaissent ce poème et je me souviens avoir déjà entendu  Hsiao Kang le fredonner une fois.

Fortement influencé par l’occident, le développement rapide des villes asiatiques m’inspire un constant sentiment d’anxiété et d’incertitude, comme si nous dérivions sans aucune fondation.

Comme si nous vivions dans un immense chantier de construction où les maisons, les routes et le métro sont constamment rénovés, démolis et reconstruits. Et alors le développement continue, de plus en plus de choses sont laissées à l’abandon. Je n’ai jamais hésité à montrer ce genre de scènes dans mes films, qu’il s’agisse de chantiers où le béton s’accumule ou de bâtiments abandonnés tombant en ruines. Ces scènes nous rappellent combien le prix à payer pour le développement ultra-rapide est absurde et cruel, un tribut qui frise l’insanité.

LES CHIENS ERRANTS parle d’une famille monoparentale dont la mère est absente. Une famille qui n’a en fait même pas de maison.

Le père et ses deux enfants errent d’un bâtiment abandonné à l’autre. Les ruines désertes que j’ai filmées semblent m’avoir attendu depuis une éternité. Ce sont des personnages à part entière. Je les ai découvertes et j’ai écouté leurs histoires.

Alors que je faisais les repérages, j’ai eu la surprise de découvrir dans un de ces bâtiments une gigantesque fresque murale représentant un paysage. C’était très émouvant. Cette fresque était peut-être la personnalisation de cette ville désolée. Ou encore était-ce le miroir reflétant l’illusion et la réalité du monde des humains. J’ignorais qui en était l’auteur, mais je savais que je devrais la filmer. J’ai demandé à mon équipe de la sauvegarder, mais sans aucune garantie car n’importe qui pouvait entrer dans ce bâtiment à l’abandon. Il ne me restait qu’à prier qu’elle soit épargnée. »

Les chiens errants, drame taiwanais de Tsai Ming-Liang. Grand prix du jury Mostra de Venise 2013.

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