Histoires de tueurs en série : Joseph Vacher, le tueur de bergers

Joseph Vacher, surnommé le « tueur de bergers » ou le « Jack l'Éventreur du Sud-Est » (né à Beaufort dans l'Isère, le 16 novembre 1869 – exécuté à Bourg-en-Bresse, le 31 décembre 1898), est un sergent réformé devenu vagabond, considéré, après Martin Dumollard, comme l'un des premiers tueurs en série français. Auteur présumé d'une trentaine de meurtres, dont l'égorgement d'au moins vingt femmes et adolescents, par la suite mutilés et violés, il avoue en tout onze meurtres et une tentative de viol...

Finalement jugé pour un seul assassinat, il est reconnu coupable, ce en dépit d'un séjour en institution psychiatrique et d'un comportement excentrique, et guillotiné. Son cas, dès son procès, fera l'objet d'un vif débat sur le thème « santé mentale et responsabilité pénale », et il sera également évoqué dans bon nombre de réflexions sur les manières d'aborder le problème du vagabondage à la charnière entre les XIXe et XXe siècles en France. Joseph Vacher a laissé plusieurs lettres, adressées pour la plupart à sa famille, aux médecins chargés de l'examiner ou à ses juges.

Jeunesse
Né dans une famille nombreuse – on ne lui compte pas moins de quinze frères et sœurs – et respectée de cultivateurs de l'Isère, fils de Pierre Vacher, soixante ans, Joseph Vacher est élevé dans une atmosphère teintée de mysticisme et de superstitions alimentée par sa mère, Marie-Rose dite Rosalie Ravit, de quinze ans plus jeune que son mari, femme très dévote, régulièrement en proie à des hallucinations.

Il a un frère jumeau, Eugène, qui meurt précocement, à l'âge de huit mois, étouffé par une grosse boule de pain chaud qu'a négligemment posée sur lui l'un de ses frères.

Enfant, le jeune Joseph se serait montré d’un caractère sournois et cruel, aimant torturer les animaux. Il est aussi parfois pris de crises de démence, durant lesquelles il brise tout ce qui est à sa portée. Également violent et doué d’une force surprenante, il n'hésite pas à frapper ses frères et sœurs, même les plus âgés, se montrant tout aussi brutal avec ses camarades d’école.

Il commence à travailler à quatorze ans, à la mort de sa mère, et débute vraisemblablement sa carrière criminelle peu de temps après. Le 18 juin 1884, Joseph Amieux, un enfant de dix ans, est violé et tué dans une grange d'Eclose dans l'Isère. Vacher, qui se trouve dans la région à l'époque du meurtre, sera soupçonné d'en être l'auteur (mais seulement dix années plus tard), ainsi que de trois ou quatre crimes qui suivront et qui ne seront jamais vraiment élucidés.

À seize ans, il entre comme postulant chez les Frères maristes de Saint-Genis-Laval. Il y reste deux ans et y parfait son instruction, allant, semble-t-il, jusqu’à faire la classe aux enfants. Il est exclu à dix-huit ans pour indiscipline et immoralité, se voyant notamment reprocher de se livrer à des actes homosexuels sur ses condisciples. Il restera néanmoins profondément marqué par ce passage chez les religieux.

L'armée
Il retourne alors à Beaufort et s'adonne aux travaux des champs. C'est à ce moment qu'il aurait tenté d'abuser d'un jeune valet de ferme âgé de douze ans. Il part ensuite pour Grenoble retrouver l'une de ses sœurs, Olympe, prostituée devenue tenancière de maison close, et que l'on a surnommée « Kilomètre » à cause de ses talents de « marathonienne des trottoirs ».

En 1888, il travaille dans une brasserie de Grenoble et fréquente les prostituées. Il contracte alors une maladie vénérienne qui l'amène à subir, le 11 février 1889, une intervention chirurgicale à l'hôpital de l'Antiquaille de Lyon, opération durant laquelle on lui enlève une partie d'un testicule. Cette opération castratrice l'aurait traumatisé.

Lors de son service militaire, il est envoyé le 15 novembre 1890 au 60e régiment d'infanterie de Besançon. Durant sa période militaire, il subira des brimades et « bizutages » de la part de ses camarades plus anciens. Ces derniers, ainsi que ses supérieurs, le décrivent comme psychiquement troublé, atteint d'idées noires et de délire de persécution.

Bien que classé quatrième de sa promotion à l’école des élèves caporaux, il est néanmoins recalé, car « inapte au commandement » selon les sergents-instructeurs, ce qui constitue pour lui une nouvelle source d’amertume et de colère. Pour protester contre cette injustice, Vacher tente de se trancher la gorge. À l’infirmerie où il est emmené, il subit son premier examen mental. Le colonel venu lui rendre visite l’interroge. L’ayant jugé quant à lui apte au grade de caporal, il lui accorde finalement son galon. Une fois sorti de l’infirmerie, Vacher montre une aptitude certaine au commandement, même s’il est trop autoritaire. Ses qualités lui permettent d’être rapidement nommé sergent.

Le vagabond tueur de bergers
C'est durant cette période qu'il rencontre à Besançon une jeune cantinière du nom de Louise Barrand. Il la rejoint à Baume-les-Damesle 25 juin 1893 pour la demander en mariage. Face au refus de cette dernière, qui s'est entretemps éprise d’un autre soldat, il tire sur elle trois coups de revolver avant de tenter de se suicider en retournant l'arme contre lui. L'un et l'autre ne sont que blessés. En ce qui concerne Vacher, deux balles (une dans le rocher et l'autre dans le cou), qui ont pénétré par l'oreille droite, ne peuvent être extraites et provoquent la surdité totale de ce côté, ainsi qu'une paralysie du nerf facial droit, qui laisse son œil droit injecté de sang plus grand que l'autre À la suite de cet épisode, Joseph Vacher, dont l'oreille suppure en permanence, gardera presque toujours la tête couverte.

Considéré comme irresponsable car psychiquement atteint – il souffre en effet de crises de paranoïa et d'hallucinations –, il passe, à partir du 7 juillet 1893, plus de six mois à l'asile de Dole, dans le Jura, où les soins qu'on lui prodigue sont limités. Le 2 août 1893, il est définitivement réformé de l'armée pour troubles psychiques. Peu de temps après, il s'évade de l'asile, mais est arrêté à Besançon. De nouveau interné, cette fois-ci à Saint-Robert, il obtient son billet de sortie le 1er avril 1894, le directeur de l'institution, un certain Mr Dufour, le considérant comme totalement guéri.

Après sa sortie de l'asile, Vacher retourne d'abord à Saint-Genis-Laval, puis se dirige vers Grenoble, en passant par Beaurepaire. C'est là que, le 19 mai 1894, est commis le premier meurtre avoué par Vacher, celui d'Eugénie Delomme, vingt et un ans. À partir de ce moment, et durant trois ans, Vacher aurait commis des crimes au hasard de sa route, laissant d'autres être suspectés à sa place, et il aurait échappé à toute enquête grâce à d'incessants déplacements. Il effectue jusqu'à 60 km à pied par jour, traversant la France de la Normandie au Tarn, via la Bourgogne et la vallée du Rhône, vivant de petits boulots dans différentes fermes.

Le 31 août 1895 est découvert à Bénonces dans l'Ain le corps horriblement mutilé de Victor Portalier, un jeune berger d'une quinzaine d'années ; plusieurs témoins donnent alors le signalement d'un vagabond qui, comme signes particuliers, « a une cicatrice ou rougeur sur l'œil droit, porte un petit sac en toile et un bâton », mais le personnage en question semble s'être volatilisé. L'affaire reste en suspens.

Le 9 mars 1896, Vacher est arrêté pour vagabondage et coups et blessures, et est condamné par le parquet de Baugé à une peine d'un mois d'emprisonnement. Quelques jours auparavant, un homme répondant à son signalement avait failli être interpellé alors qu'il tentait de violer une fillette de onze ans à Noyen-sur-Sarthe.

Mode opératoire
 « Vacher [le tueur] recherche et guette des jeunes filles ou des jeunes garçons isolés ; tels les bergers et les bergères […] : l'objet de ses désirs étant trouvé dans les conditions voulues, la victime est marquée du sceau du meurtrier, il se jette à sa gorge, qu'il serre d'abord par strangulation, et qu'il sectionne ensuite rapidement avec le couteau ou plutôt le rasoir qu'il porte toujours sur lui ; une fois et instantanément abattue, il lui fait subir des mutilations diverses : éventration, section des seins (si c'est une femme), section des testicules (si c'est un homme), puis, au comble de l'excitation et du paroxysme, il frappe de nouveau et au hasard le cadavre déjà mutilé... et consomme le forfait par le viol, d'habitude inversif… ».

On l'a suspecté, au total, d'au moins trente et un viols – souvent post mortem – et meurtres, des homicides pour la plupart marqués par une extrême violence. Il semblait avoir une prédilection pour les jeunes gens de treize, quatorze ans.

Enquête et arrestation
Le 4 août 1897, Joseph Vacher est pris en flagrant délit d'« outrages publics à la pudeur » dans un bois à Champis, en Ardèche. Il a tenté d'agresser une fermière, MmePlantier. Alerté par les cris de la victime, le mari de celle-ci, avec l'aide de deux autres personnes, est venu à son secours et a permis l'arrestation. Le 7 septembre, Vacher est, pour ce crime, condamné à trois mois de prison par le tribunal de Tournon.

Le juge d'instruction Émile Fourquet, qui a pris ses fonctions à Belley dans l'Ain en avril 1897, est cependant alerté du fait que le physique de Vacher correspond au signalement du principal suspect dans l'affaire du meurtre du jeune Portalier. Le juge, qui dresse de grands tableaux de plusieurs crimes similaires, apparaît comme l'un des premiers profileurs français. Vacher est transféré à la prison de Belley et soumis aux interrogatoires de Fourquet. Devant le mutisme de Vacher, le juge use d'un stratagème pour connaître les endroits visités par l'homme : il lui dit qu'il écrit un ouvrage sur les vagabonds – ce qui est le cas, mais le sujet en est en fait les « vagabonds criminels » – et invite Vacher à parler de ses pérégrinations à travers le pays, ce que Vacher fait sans se douter du piège. Le juge constate ainsi que les errances de Vacher passent essentiellement par le sud-est de la France, la région du Rhône et de l'Ain, soit par des endroits où des crimes présentant certaines similitudes ont été perpétrés.

Le 10 octobre 1897, Vacher passe aux aveux d'abord pour huit meurtres. Le 16 paraît dans Le Petit Journal une « lettre de Vacher », dont celui-ci a négocié la publication en échange de sa confession. Certains soupçonnent Vacher de se vanter d'avoir commis des crimes dont il a seulement entendu parler. Cependant, c'est suivant les indications de Vacher lui-même que des ossements seront retrouvés dans un puits, le 25 octobre, à Tassin-la-Demi-Lune dans le Rhône. Selon le médecin légiste chargé d'étudier les restes – un dénommé Jean Boyer –, ceux-ci appartiendraient à une personne d'un sexe indéterminé, âgée d'une quinzaine d'années et morte depuis au moins trois mois sans qu'il ne soit possible, selon lui, d'indiquer une période précise. On croit d'abord qu'il s'agit des restes de François Bully, un manœuvre de dix-sept ans, mais celui-ci se manifeste et, plus tard, grâce aux vêtements et à la denture, les parents de Claudius Beaupied, un jeune chemineau (vagabond) de quatorze ans, croiront reconnaître la dépouille de leur fils.

Condamnation et exécution
Jugé avec une certaine hâte, après un quart d'heure de délibérations et sans tenir compte de ses graves antécédents médicaux, Joseph Vacher est, le 28 octobre 1898, à l'âge de vingt-neuf ans, condamné à mort par les assises de l'Ain pour le seul assassinat de Victor Portalier.

Le dernier jour de l'année 1898, il est guillotiné sur le Champ-de-Mars de Bourg-en-Bresse par le bourreau Louis Deibler ; ce sera d'ailleurs la dernière exécution effectuée par celui-ci, sa démission devenant effective le 2 janvier de l'année suivante.

Les dernières paroles du condamné seront : « C'est heureux que je me sois fait couper les cheveux » selon Le Petit Parisien – Vacher a en effet demandé à ce qu'on lui rase le crâne et la barbe peu de temps auparavant –, « La voilà, la victime des fautes des asiles. » et « Vous croyez, en me faisant mourir, expier les fautes de la France. La France est coupable ! Tout est injustice. […] ». Plus de deux mille personnes assistent à l'exécution, malgré la pluie et le froid, bien que l'exécution ait lieu la veille du Jour de l'An. Le couperet tombe à sept heures trois.

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici.


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr