La preuve en droit civil français

La preuve définit tout moyen utilisé pour établir l'existence d'un fait ou droit dont on se prévaut. C'est une notion fondamentale en droit, car en cas de contestation, « ne pas pouvoir prouver son droit revient à ne pas en avoir ». Il existe deux systèmes de preuve en droit civil français: le système dit de preuve libre ou morale (qui permet l'utilisation de tous les modes de preuves) et le système de la preuve légale (qui reconnaît surtout les preuves par écrit)...

En droit civil, le système de preuve libre est employé lorsqu'il s'agit de prouver des faits juridiques (à l'exception de la naissance et du décès) alors que lorsqu'il s'agit de prouver des actes juridiques (contrats, testament…), le régime est dominé par le système de preuve légale (au-delà d'un certain montant fixé par décret, actuellement 1 500 €). 

Mais en droit administratif, en droit pénal ou en droit commercial la preuve est en principe libre. 

Charge de la preuve
La charge de la preuve est l'obligation faite à une partie au procès de prouver les éléments qu'elle avance à l'appui de ses prétentions. 

Charge de la preuve en principe
Deux adages de droit romain permettent de saisir les grands principes relatifs à la charge de la preuve : 

Actori incumbit probatio : « la charge de la preuve incombe au demandeur »
Reus in excipiendo fit actor : « celui qui allègue une exception en défense doit la prouver »

Cette articulation se retrouve au sein de l'article 1315 du code civil, qui dispose : 

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation »  

Plus généralement, un autre adage romain résume assez bien la situation dans la très grande majorité des cas : affirmanti incumbit probatio c'est-à-dire « La preuve incombe à celui qui avance l'existence d'un fait ». 

Présomptions
Toutefois, la charge de la preuve peut parfois être inversée par le jeu de présomptions légales : 

La présomption simple, qui peut être combattue par la preuve contraire

Exemple : lorsqu'un départ d'incendie a lieu au sein d'un immeuble loué, le locataire est présumé être responsable de cet incendie. Il peut toutefois apporter la preuve que l'incendie n'a pas été causé par sa faute mais par un événement qui ne lui est pas imputable (communication de feu, vice de construction...) (art. 1733 Cciv.) Exemple 2 : lorsque deux personnes sont mariées, l'enfant que la mère met au monde est présumé être le fils du mari. S'il veut renier l'enfant, le père doit introduire une action en contestation de paternité et prouver (généralement par un test génétique) qu'il n'a pas conçu l'enfant (art. 312 CCiv.)

La présomption irréfragable, qui ne peut être combattue par la preuve contraire

Exemple : lorsqu'un parent vend un bien en viager à un de ses enfants, cette opération est considérée comme une donation déguisée et on présume que l'acte a préjudicié aux autres héritiers (art. 918 CCiv.), même si la preuve est rapportée que le viager a préjudicié à cet enfant. 

Par ailleurs, la charge de la preuve peut aussi être inversée par la présomption du fait de l'homme qui est une présomption judiciaire simple, admise dans les domaine où la preuve est libre. Ainsi, lorsqu'il est impossible de prouver directement un fait, le juge peut se satisfaire d'indices qui établissent indirectement le fait, à condition que ces éléments soit « graves, précis et concordants » (art. 1353 CCiv.). Il appartient alors au défendeur de prouver le contraire. 

Exemple : il est, à ce jour, impossible de prouver scientifiquement que les vaccins contre l'hépatite B entraînent des cas de scléroses en plaque. Néanmoins, de nombreux requérants ont pu obtenir réparation auprès des fabricants de vaccins en avançant divers indices, tels que la concomitance entre l'administration du vaccin et l'apparition de la maladie ou la prévalence statistique plus importante d'apparition du trouble chez les individus vaccinés. Il appartenait, dans ces cas, aux industriels pharmaceutiques d'apporter la preuve que la sclérose en plaque ne pouvait être causée par le vaccin. (Civ. 1re, 10 juillet 2013, no 12-21.314)

Preuve du droit
Jura novit curia : « le juge connaît le droit ». La règle de droit n'a donc pas à être prouvée, et le juge fonde son avis en fonction de l'orientation que donnent les preuves par rapport au droit. 

À noter cependant deux exceptions : 

Les usages professionnels ne sont pas écrits et ont parfois la valeur de règle de droit. Il appartient à la partie qui s'en prévaut de la prouver via l'attestation d'une autorité compétente en la matière (les « parères », document délivré par un syndicat ou une chambre de commerce et d'industrie).

La loi étrangère devait auparavant être prouvée par les parties, dans des modalités analogues à celles de la preuve des usages professionnelles (attestation des consulats en ambassades). Il appartient aujourd'hui au juge d'en rechercher la substance, sans que les parties ne soient obligées de participer à la recherche. 

Preuve des faits lato sensu
Les questions de fait doivent être prouvées par les parties. Selon qu'il s'agisse de prouver un fait juridique ou un acte juridique, les règles sont différentes et souffrent d'exceptions. 

Preuve des faits juridiques stricto sensu
En principe, les faits juridiques peuvent être prouvés par tout moyen. 

Preuve des actes juridiques
La preuve des actes juridiques n'est pas libre. Selon l'article 1341 du code civil, le texte impose que la preuve doit prendre la forme d'une preuve littérale, c'est-à-dire la nécessité d'un écrit. 

Les preuves parfaites
Les modes de preuve dits parfaits sont ceux qui sont valables dans le système de la preuve légale et qui permettent donc la preuve des actes juridiques. Elles ont notamment la particularité de lier le juge, qui est donc obligé de les suivre à la lettre. 

Les actes authentiques
Les actes authentiques sont définis par l'article 1317 du code civil : « L'acte authentique est celui qui a été reçu par des officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises. » 

La loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique a complété cet article par un second alinéa concernant les actes sur support informatique : « Il peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans des conditions fixées par décrets en Conseil d'État ». 

La valeur probante de l'acte authentique est quasi totale, en effet il fait foi des mentions qu'il contient jusqu’à inscription en faux en écriture publique. L'inscription en faux en écriture publique est une procédure visant à vérifier si l'acte montré au tribunal est un faux. Si cela aboutit, la valeur de l'acte est alors nulle mais par contre si la procédure n'aboutit pas, celui qui l'a intentée risque le versement de dommages-intérêts et d'une amende. D'ailleurs, il n'est techniquement pas nécessaire de faire appel à la justice pour faire appliquer le droit ainsi prouvé; la force publique suffit (par exemple huissier de justice), et c'est ensuite au sujet de droit opposé d'estimer l'utilité d'ester en Justice face à un adversaire armé d'une telle preuve (par exemple, le cas d'une occupation illégale d'une habitation). 

Les actes sous seing privé
Ce sont les écrits remplissant un certain nombre de conditions de formes mais qui ne sont revêtus que de la signature des parties au contrat, et non de celle d'un officier public. Ainsi dans le cas des contrats synallagmatiques, selon l'article 1325 du code civil, une des conditions sera qu'il y ait autant d'originaux que de parties ayant un intérêt distinct (qui s'obligent). Cette condition fait exception en matière commerciale. La valeur probante de l'acte sous seing privé est limitée puisqu'il ne fait foi que jusqu’à preuve du contraire : 

- au niveau de leur contenu ;
- au niveau de leur origine ;
- au niveau de la date (voir date certaine) ;
- au niveau de la signature. 

Malgré tout, la preuve du contraire reste soumise aux mêmes limitations quant aux moyens de preuve. 

Un acte sous seing privé qui ne remplirait pas toutes les conditions de forme (signature manquante, date oubliée…) ne perdra pas toute sa valeur probante. En effet celui-ci n'aura plus la valeur probante de l'acte sous seing privé mais, par contre, fournira ce que l'on appelle un commencement de preuve par écrit qui ouvre, en régime de la preuve légale, les possibilités de la preuve libre pour confirmer ce qui est contenu dans cet acte. 

De plus, les dates des actes sous seing privé ne sont vérifiées et valables que dans trois cas : 

- l'enregistrement administratif ;
- la mort de l'un des signataires (l'acte n'aura pas pu être établi après sa mort) ;
- la constatation de l'existence de l'acte dans un acte authentique. 

L'aveu
C'est une déclaration par laquelle l'une des parties au procès reconnaît sa faute, une infraction ou les droits de l'autre partie (article 1354 du code civil). Si cet aveu est réalisé devant une instance de justice sa force probante est absolue et le juge est obligé de juger en conséquence, l'aveu est alors dit judiciaire. Il est irrévocable sauf erreur de fait. 

Si l'aveu est réalisé en dehors des instances judiciaires, dans une lettre, un enregistrement audio, fait devant témoin… sa force probante est relative, il ne fait qu'informer le juge qui n'est en aucun cas tenu par cet aveu, dit extra-judiciaire. Les juges peuvent cependant « s'estimer pleinement convaincus d'un aveu extra-judiciaire ». 

Le serment décisoire
Il est organisé par les articles 1357 et suivants du code civil. Le serment décisoire est un serment fait par l'une des parties à la demande de l'autre, par exemple un débiteur, incapable de prouver qu'il a bien remboursé, pourra demander à son créancier de faire serment de ne jamais avoir été remboursé. La partie à laquelle il est demandé de prêter serment a trois possibilités : 

- soit elle prête serment et gagne son procès,
- soit elle refuse et perd son procès,
- soit elle réfère le serment à la partie adverse et met ainsi son sort entre les mains de l'autre partie. 

Il est très rarement utilisé mais il reste toujours recevable, notamment lorsqu'en l'absence d'éléments convaincants, l'issue du procès demeure insoluble. De fait, il ne peut porter sur l'état des personnes. En ce qui concerne les autres matières, le serment décisoire ne peut déférer sur des faits personnels et pertinents. Nous retiendrons enfin que, si l'instruction établit la fausseté d'un serment décisoire, celui qui en est l'auteur peut faire l'objet de graves poursuites (tribunal correctionnel), et le procès incriminé pourra être révisé en civil. 

Les preuves imparfaites
Ce sont celles dont la force probante est limitée (le juge est libre vis-à-vis de son appréciation). Elles ne peuvent être utilisées qu'en régime de preuve libre, donc pour prouver des faits juridiques ou encore lorsque l'acte juridique n'est pas soumis à la preuve parfaite pour être démontré, litiges ne s'élevant pas au-delà de 1 500 euros, en régime de preuve légale lorsqu'un commencement de preuve par écrit a été fourni (comme un acte sous seing privé non valide ou encore des doubles d'actes juridiques sous forme de photocopies) ou dans un dernier cas lorsque le juge a reconnu au parti l'impossibilité morale d'établir un écrit lui donnant alors par la même occasion la possibilité d'user de preuve libre pour un acte juridique supérieur à 1500 euros. 

Témoignage
Tout le monde peut témoigner, sous réserve d'accepter de prêter serment (on parle de serment supplétoire), et sachant que le faux témoignage est un délit. Mais le juge n'est pas lié par un témoignage, il n'est pas obligé d'en tenir compte. De plus la partie adverse peut refuser de l'écouter. La valeur juridique du témoignage est discutable car il est considéré comme suspicieux. 

En France, les articles 200 à 203 du code de procédure civile et l'article 441-7 du nouveau code pénal réglementent le témoignage. Le témoignage peut être écrit sur papier libre, ou suivant le formulaire Cerfa no 11527-02. 

Le témoignage peut revêtir les mêmes garanties qu'une constatation d'un huissier (mais gratuit sur le plan pécuniaire), toujours à condition de s'en tenir aux faits. 

Par exemple, en cas d'écoulement d'eau de pluie dans une maison, on peut constater que « des tuiles manquent à la toiture », et que « les murs sont mouillés ». Le témoignage ne doit pas affirmer des liens de cause à effet, tels que « les tuiles manquantes rendent les murs humides. » 

Il est conseillé de faire appel à des témoins hors du cercle familial et sans relation professionnelle, bien qu'aucune disposition légale ne l'interdise. 

Le témoignage est souvent la seule preuve contre les « refus de guichet ». 

Les présomptions de l'homme
Les présomptions de l'homme sont celles que les données de fait, exclusivement propres à l'espèce à juger, inspirent au juge saisi. Il s'agit d'un mode d'induction/déduction librement utilisé par le juge sur le fondement d'indices matériels. Les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tirent d'un fait connu à un fait inconnu. 

On peut aussi appeler présomptions les indices sur lesquels on se base pour déduire. Parfois, le demandeur, qui d'après l'article 1315 du code civil est chargé de prouver ce qu'il avance, n'y parvienne pas. Le législateur lui permet donc d'avoir recours à des présomptions. 

Serment supplétoire
Le serment supplétoire est un serment déféré, à la partie qui lui paraît la plus digne de confiance, par un juge qui estime les preuves insuffisantes et souhaite posséder une indication complémentaire. 

Serment estimatoire
Le serment estimatoire est plus souvent utilisé par le juge. Il s'agit d'estimer (pour la partie qui a droit à un dédommagement) le montant du dédommagement. 

Enregistrements téléphoniques ou audio
En ce qui concerne les enregistrements téléphoniques, ils ne sont pas admis comme mode de preuve si la partie adverse n'a pas été tenue au courant de leur enregistrement. Ainsi, le fait d'avoir enregistré une conversation téléphonique à l'insu de quelqu'un peut se retourner contre la personne auteur de l'enregistrement, qui peut se voir poursuivie et condamnée. Cette solution a été confirmée dans un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 7 octobre 2004. En revanche, le SMS comme mode de preuve est accepté par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 mai 2007 car le SMS a vocation à être conservé dans un téléphone. Ce mode de preuve n'est pas conforme à l'égalité des armes entre les parties.

À noter que la Cour européenne des droits de l'homme peut regarder sous certaines conditions les enregistrements au travers de l'équité d'un procès dans l'administration des preuves (article 6.1 de la CEDH).

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : Fotolia.com.

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