Whiplash de Damien Chazelle

Andrew, 19 ans, rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s’entraîne avec acharnement. Il a pour objectif d’intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l’excellence...

Note du réalisateur Damien Chazelle
Il existe beaucoup de films sur la joie que procure la musique. Mais en tant que jeune batteur d’un orchestre de jazz dans un conservatoire, je ressentais bien plus souvent de la peur. La peur de rater une mesure, de perdre le tempo. Et surtout, la peur de mon chef d’orchestre. Avec WHIPLASH, je voulais réaliser un film qui ressemble à un film de guerre ou de gangsters – un film dans lequel les instruments de musique remplacent les armes à feu et où l’action ne se déroule pas sur un champ de bataille, mais dans une salle de répétition ou sur une scène de concert.

J’ai toujours été très intrigué par la figure du jeune Charlie Parker. Si l’on avait demandé à ses contemporains d’alors qui, parmi les jeunes musiciens de Kansas City, deviendrait le meilleur musicien de sa génération, personne n’aurait parié sur lui. Pour les anciens, il n’était qu’un jeunot passionné moyennement talentueux. Pourtant, quelque chose s’est passé à la fin de son adolescence car, à 19 ans, il jouait merveilleusement, comme personne avant lui. Que s’est-il passé ? Eh bien, l’histoire dit qu’un soir, Charlie a participé à un cutting contest (une sorte d’affrontement entre un musicien et un orchestre) au Reno Club et a complètement foiré son solo :

le batteur du club lui a jeté une cymbale à la tête et le public l’a hué. Il s’est couché en larmes en murmurant, « Je reviendrai et je leur montrerai ce que je sais faire ». Il a travaillé comme un fou pendant un an et, lorsqu’il est repassé au Reno, il a épaté tout le monde. Au lycée, je passais des heures, enfermé dans un sous-sol insonorisé, à m’entraîner à la batterie jusqu’à ce que mes mains saignent, en rêvant d’une telle métamorphose. J’étais aussi poussé par un héros local, un homme hors du commun qui avait réussi sa propre transformation durant la décennie précédente : prendre un petit groupe de jazz d’une école publique du New Jersey et en faire le meilleur du pays selon Down Beat Magazine, soit un groupe qui a joué lors de deux investitures présidentielles et lors de la soirée d’ouverture du JVC Jazz Festival de New York. Pendant des années, j’ai consacré ma vie à la batterie et, pour la première fois, dans mon esprit la musique fut associée non pas aux notions de divertissement ou d’expression personnelle, mais à la peur.

En y repensant, je me demande comment et pourquoi c’est arrivé. Ma carrière de batteur a été couronnée par divers Prix, mais je me souviens parfaitement des cauchemars, des nausées, des repas sautés, des crises d’angoisse, tout cela pour un style de musique qui, en surface, symbolise la joie et la liberté. À cette époque, ce qui comptait le plus pour moi était la relation que j’entretenais avec mon professeur. C’est ce rapport si lourd et si tendu que je voulais illustrer dans WHIPLASH. Si le devoir d’un professeur est de pousser un élève vers l’excellence, à quel moment dépasse-t-il les bornes ? Charlie Parker a-t-il eu besoin de se faire huer et jeter d’une scène pour devenir “Bird” ? Comment rend-on quelqu’un exceptionnel ?

Pour rendre compte des émotions que je ressentais pendant mes années en tant que batteur, je voulais filmer chaque concert comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, une course-poursuite ou disons un braquage de banque. Je voulais capturer tous les détails dont je me souvenais, tous les efforts pour parvenir à l’interprétation d’un morceau de musique. Les boules Quiès, les baguettes cassées, les ampoules, les coupures, le bruit du métronome, la sueur et la fatigue. En même temps, je souhaitais aussi montrer les fugaces moments de beauté qu’offre la musique et que le cinéma peut retranscrire d’une façon très émouvante.

Quand on écoute un solo de Charlie Parker, on est dans un état de béatitude. Mais toute la souffrance qu’il a endurée pour l’exercice de son art en valait-elle la peine, tout cela pour que nous puissions profiter du fruit de ses efforts quelques décennies plus tard ? Je n’ai pas de réponse, mais c’est une question qui mérite d’être posée car elle vaut bien au-delà de la  musique et des arts et touche à un concept très simple mais fondamental dans la culture américaine : l’excellence à tout prix.

Drame musical de Damien Chazelle. Prix du public et grand prix du jury, fiction américaine, au dernier festival de Sundance. Prix du public et grand prix du jury, sélection officielle, au festival de Deauville.


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