Landru, le Barbe-Bleue de Gambais

Henri Désiré Landru (12 avril 1869 à Paris (19e arrondissement) – 25 février 1922 à Versailles) est un célèbre tueur en série et criminel français. Il fut surnommé « le Barbe-Bleue de Gambais »…

Henri Désiré Landru est né en 1869 au sein d'une famille modeste. En 1889, il ment pour séduire sa cousine Marie-Catherine Rémy, jeune femme qui habite chez sa mère blanchisseuse rue Saint-Louis-en-l'Île, prétendant travailler dans son cabinet d'architecte en tant que technicien. Il l'épouse le 7 octobre 1893 après ses trois années réglementaires de service militaire accompli au 87erégiment d'infanterie de Saint-Quentin et au cours duquel il atteint le grade de sergent. Le couple aura quatre enfants.

De 1893 à 1900, il pratique une dizaine de métiers (comptable, employé de commerce, cartographe, entrepreneur de travaux tel que couvreur, plombier, etc.) et change quinze fois d'employeur. La naissance des quatre enfants met le couple dans la difficulté financière, aussi cherche-t-il à faire fortune en fondant une prétendue fabrique de bicyclettes à pétrole avec laquelle il commet sa première escroquerie : il organise une campagne de publicité nationale, spécifiant que toute commande doit être accompagnée d'un mandat représentant un tiers du prix. Les commandes affluent alors qu'il n'a pas investi pour les fabriquer, et il disparaît avec l'argent sans jamais livrer les bicyclettes. Ces différents échecs l'affligent d'un sentiment de déréliction mythomaniaque.

Allant d'escroquerie en escroquerie, dissimulé sous de faux noms, il collectionne les condamnations à des peines d'amende et de prison (deux ans en 1904, treize mois en 1906), mais, après une tentative de suicide dans sa geôle, parvient à sortir de détention grâce aux expertises de médecins psychiatres qui le déclarent dans « un état mental maladif qui, sans être de la folie, n'est plus du moins l'état normal ».

En 1909, il est condamné à trois ans de prison ferme pour escroquerie : à la suite d'une annonce matrimoniale, il avait fêté ses fiançailles avec une certaine Jeanne Izoret, puis s'était fait remettre les titres de celle-ci avant de disparaître.

Dès sa sortie de prison, il monte une nouvelle escroquerie, une carambouille : il achète un garage, qu'il revend immédiatement sans avoir payé le précédent propriétaire. La justice l'identifie assez vite comme étant l'auteur de ce délit, et il prend la fuite. En 1914, il est condamné par défaut pour cette affaire à quatre nouvelles années de prison. S'agissant de sa troisième condamnation à une peine de plus de trois mois, le verdict est assorti de la peine accessoire de relégation, c'est-à-dire qu'il est condamné à être déporté à vie au bagne de Guyane. Landru, qui a déjà connu la prison, sait que la détention en Guyane se passe dans des conditions extrêmement difficiles avec un taux de mortalité très élevé. Il est dès lors possible, mais ce n'est là qu'une conjecture, que cette condamnation ait joué un rôle dans sa transformation en assassin : faisant déjà l'objet d'une quinzaine de plaintes, il ne pouvait tout simplement plus se permettre d'être reconnu par l'une de ses victimes.

L'affaire Landru
Pour se procurer des revenus, Landru va, à partir de 1914, franchir le pas qui le conduira à l'échafaud. A l'instar de Johann Otto Hoch (en) et de George Joseph Smith (en), il se fait passer pour un homme veuf, esseulé et disposant d'une certaine aisance, et entreprend de séduire des femmes seules qui, sans être véritablement riches, possèdent quelques économies et surtout, mènent une vie suffisamment isolée de leur entourage. Simulant une prospérité qui n'est que de façade, il leur fait miroiter le mariage et les invite à séjourner brièvement dans une villa isolée qu'il loue, d'abord à Chantilly, puis à Vernouillet, et enfin à Gambais(Seine-et-Oise, actuel département des Yvelines). Le choix de cette dernière commune fut motivée par le fait que les enfants de l'une de ses victimes, Mme Guillin, inquiets de la disparition de leur mère et connaissant l'adresse de Vernouillet, ne tardèrent pas à s'y rendre. Landru décida alors de fuir ces visiteurs trop curieux.

En outre, la Belle Époque et la Première Guerre mondiale voient le développement du travail féminin : les midinettes, grisettes, trottins, parfois obligées de pratiquer la prostitution occasionnelle pour survivre, sont autant de femmes seules susceptibles d'être ses victimes puisqu'il se présente dans ses annonces comme un homme veuf et aisé, capable de subvenir à leurs besoins. Enfin, le premier conflit mondial laisse de nombreuses veuves qui ne souhaitent pas demeurer longtemps en deuil, mais souhaitent se remarier pour améliorer leurs faibles pensions.

Sa première victime est Jeanne Cuchet, lingère et veuve de 39 ans qu'il rencontre en février 1914 dans les jardins du Luxembourg. Ses victimes suivantes sont « recrutées » en publiant des annonces matrimoniales dans des quotidiens. A force d'éloquence, il fait signer à ses victimes des procurations lui permettant ensuite de faire main basse sur leurs comptes bancaires. Il ne lui reste plus qu'à assassiner ces dames imprudentes, puis à faire disparaître leur corps. On supposera par la suite qu'il les brûlait dans le fourneau des villas qu'il louait : bien qu'étant assez isolée, la maison de Gambais est suffisamment proche des autres habitations pour qu'à plusieurs reprises, l'attention du voisinage ait été attirée par certaines odeurs nauséabondes s'échappant de la cheminée à des périodes où le chauffage intensif n'était pas indispensable. Toutefois, comme Henri Landru se montre assez discret dans l'accomplissement de ses crimes, ces faits resteront dans l'ombre tant que n'éclatera pas l'affaire. De plus, il bénéficie du contexte trouble de la Première Guerre mondiale ; ainsi, alors qu'il est fiché comme escroc en fuite pour sa précédente condamnation, il peut se permettre, sans courir le risque d'être arrêté, de rentrer de temps en temps auprès de sa femme et de ses enfants, qui le croient brocanteur, et qu'il fait profiter du produit de ses crimes.

Landru utilise plus de 90 pseudonymes. Lorsque l'une de ses victimes lui demande des papiers d'identité afin d'organiser le mariage promis, il prétend être originaire des régions occupées par les Allemands, ce qui rend impossible la vérification de son identité. Selon la psychiatre des hôpitaux Francesca Biagi-Chai qui a repris les expertises judiciaires de l'époque, c'est ce contexte de guerre qui transforme la psychose latente ordinaire de Landru en schizophrénie mortifère : puisque les soldats tuent pour une raison, cet homme cultivé, soucieux de subvenir aux besoins de sa famille mais aussi amoureux d'une chanteuse dont il a été l'amant, trouve lui aussi une raison économique de tuer en série des femmes pourtant pas très riches. C'est dans un contexte non sans similarités que la Seconde Guerre mondiale engendrera à son tour un Marcel Petiot.

Début de l'affaire
A la fin de 1918, le maire de Gambais reçoit une lettre d'une certaine Mme Pellat, lui demandant des nouvelles de son amie Mme Anne Collomb qui, fiancée à un M. Dupont, s'était établie avec lui à Gambais ; le maire répond qu'il ne connaît pas cette personne. Quelque temps plus tard cependant, l'édile reçoit une lettre d'une certaine Mlle Lacoste, qui lui demande des nouvelles de sa sœur, Célestine Buisson, laquelle se serait également installée à Gambais avec un M. Frémyet.

Frappé par la similitude de ces demandes, le maire met en contact les deux familles qui se rendent compte que Dupont et Frémyet semblent être la même personne  : les deux disparues ont répondu à la même annonce de rencontre parue le 1er mai 1915 dans Le Petit Journal. Les deux familles s'unissent pour porter plainte contre X auprès du parquet de la Seine. Une enquête de police menée par l'inspecteur Jules Belin12 permet alors d'établir que la villa en question baptisée « l'Ermitage », appartient à un certain Monsieur Tric, qui la loue à un Monsieur Frémyet, résidant à Rouen. Dupont/Fremyet est introuvable à Rouen, mais son courrier est réexpédié chez M.Guillet, demeurant boulevard Ney à Paris, c’est-à dire à l’adresse de Célestine Buisson.

L’enquête piétine, les recherches sur cette personne demeurant vaines jusqu'à ce que, le 8 avril 1919, une voisine de Mlle Lacoste reconnaisse le mystérieux homme au bras d’une nouvelle amie et sortant d'un magasin de faïences rue de Rivoli à Paris où il avait acheté des bibelots. Alerté, Jules Belin parvient à localiser l'individu, nommé Lucien Guillet, grâce au vendeur du magasin qui avait enregistré l'adresse de ce client qu'il devait livrer. Ce Lucien Guillet est arrêté à son domicile 76, rue de Rochechouart, le 12 avril 1919, jour de ses cinquante ans, à 6 heures (l'heure légale pour procéder à l'arrestation) par les inspecteurs Braunberger et Jules Belin (Belin ayant monté la garde devant la porte toute la nuit) qui l'accusent d'escroquerie et d'abus de confiance. Ils retrouvent à son domicile un permis de conduire au nom d'Henri Désiré Landru et un petit carnet sur lequel sont inscrits onze noms, dont ceux des deux disparues sur lesquelles enquêtait Jules Belin. Une autre version veut que pendant son transport hippomobile vers les bureaux des brigades mobiles, Landru sorte un petit carnet noir de sa poche et tente de le jeter par la fenêtre mais le brigadier Riboulet s'en empare.

L’instruction
L'examen des papiers personnels de Landru — et en particulier son registre de comptes, méticuleusement tenu — révèle une vaste opération d'escroquerie au mariage : pas moins de 283 femmes sont entrées en contact avec Landru à la suite d'annonces matrimoniales passées par celui-ci dans des journaux, mais beaucoup d'entre elles ne deviennent pas ses victimes car elles ne sont pas assez isolées de leur entourage ou n'ont pas assez de biens. Dans le carnet « traduit » par le brigadier Riboulet, la découverte par le commissaire Dautel des noms de onze femmes déclarées officiellement disparues conduit le juge Bonin à inculper Landru de meurtres en mai 1919.

L'un des éléments les plus accablants est fourni par des reçus de billets de train : Landru achetait, lors de ses déplacements en train à Vernouillet ou Gambais, un aller-retour(pour lui) et un aller simple (pour la fiancée).

Il semble aujourd'hui acquis, tant par les analystes que par les historiens, que les victimes étaient découpées et que les corps (tronc, jambes, bras) étaient soit enterrés dans des bois, soit jetés dans des étangs tandis que les têtes, mains et pieds étaient incinérés (vraisemblablement dans la cuisinière de la villa).

Le 18 août 1920, le juge Bonin récapitule toutes les charges : le dossier est si volumineux que le substitut Gazier, chargé d'établir le réquisitoire définitif, profite des vacances du juge Bonin pour l'étudier dans le cabinet du magistrat. Le dossier contient en tout plus de 5 000 pièces sans preuve. Malgré ces éléments accablants, Landru n'avoue rien pendant ses nombreux interrogatoires, parlant seulement à deux aliénistespour tenter de les manipuler et se faire passer pour irresponsable.

Le procès
Le procès-fleuve qui passionna les contemporains s'ouvre, après deux ans et demi d'instruction, le 7 novembre 1921 devant la cour d'assises de Seine-et-Oise siégeant à Versailles. La cour est présidée par le président Gilbert assisté de Messieurs Schuler et Gloria, assesseurs ; M. Godefroy officie comme avocat général ; Landru choisit comme avocat Maître Vincent de Moro Giafferi, assisté de Maître Auguste Navières du Treuil tandis que les parties civiles sont représentées par Maîtres Lagasse et Surcouf.

Le procès à grand spectacle attire le Tout-Paris (Mistinguett, Raimu, Berthe Bovy ou Colette alors chroniqueuse judiciaire) et même l'aristocratie étrangère qui sont charmés par son humour provocateur.

La cuisinière dans laquelle il était supposé avoir fait brûler les corps de ses victimes est même transportée dans la salle d'audience.

Landru nie jusqu'au bout être l'auteur des crimes dont on l'accuse, concédant toutefois avoir volé et escroqué ses supposées victimes. Il fait preuve à diverses reprises d'une éloquence souvent provocante devant la Cour, allant, par exemple, jusqu'à s'exclamer : « Montrez-moi les cadavres ! ». Landru est également renommé pour certaines de ses réparties, certaines attestées par les témoins de l'époque, d'autres apocryphes :

- A l'huissier chargé de lui remettre la liste des jurés : « Il n'est pas vraiment utile de se déranger surtout un dimanche, pour si peu de choses ».

- Au président : « Ma mémoire est surmenée par ces longs débats » — « Chaque fois qu'on voit sur mon carnet un chiffre en haut d'une page, on en déduit que ce fut l'heure où j'accomplissais un crime ! » — (le président) « Voyons Landru, toutes ces femmes ... vos enfants ne disaient rien ? » — (Landru) « Quand je donne un ordre à mes enfants, moi, monsieur le Juge, ils obéissent. Ils ne cherchent pas le pourquoi ni le comment. Je me demande comment vous élevez les vôtres ! »

- « Vous parlez toujours de ma tête, Monsieur l'avocat général. Je regrette de n'en avoir pas plusieurs à vous offrir ! »

- « Moi ? J'ai fait disparaître quelqu'un ? Eh bien, ça alors ! Si vous croyez ce que racontent les journaux ! »

- (Le président) « Vous pleurez Landru : vous éprouvez le besoin de libérer votre conscience ? » — (Landru) « Oui, je pleure mes fautes, je me repens... j'ai des remords... je pleure parce que je pense qu'avec tout le scandale fait autour de mon nom, on a appris à ma pauvre femme que je l'avais trompée. »

- « Si les femmes que j'ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n'ont qu'à déposer plainte !  »

- Alors que Landru vient de déclencher l'hilarité du public par une nouvelle repartie, le président menace : « Si les rires continuent, je vais demander à chacun de rentrer chez soi ! », ce à quoi Landru réplique : « Pour mon compte, monsieur le Président, ce n'est pas de refus ».

Son avocat maître Moro Giafferi le défend avec talent. Une scène mémorable eut lieu pendant sa plaidoirie, où il affirma que des victimes avaient été retrouvées et allaient venir se présenter devant la cour d'assises. Le public et les jurés tournèrent la tête vers la porte que le « ténor du barreau » avait alors désignée, et après avoir laissé planer le suspense, souligna le fait que tous ceux qui avaient tourné la tête vers la sortie avaient ainsi démontré leur manque de conviction concernant la réalité des assassinats imputés à son client, mettant en évidence l'absence de preuves formelles contre Landru, faute de cadavre retrouvé. L'avocat général rétorqua du tac au tac que Landru, lui, n'avait pas tourné la tête vers la porte…

Mais, face à une série de témoignages accablants et un faisceau de présomptions convaincantes, Giafferi ne peut lui éviter d'être condamné à mort : au terme de huit heures de délibérations, les jurés déclarent Henri Désiré Landru coupable de onze meurtres et le condamnent à la guillotine le 30 novembre 1921. Le 24 février 1922, Alexandre Millerand, président de la République, rejette le recours en grâce déposé.

Alors qu'on vient chercher Landru dans sa cellule à 5h25 du matin pour le conduire à l'échafaud, l'aumônier se serait approché et lui aurait demandé « Mon fils, croyez-vous en Dieu ? », Landru lui ayant répondu « Monsieur le curé, je vais mourir et vous jouez aux devinettes ». Landru est guillotiné à l'entrée de la prison de Versailles à l'aube du 25 février 1922 par le bourreau Anatole Deibler qui note dans son carnet « 6h10. Temps clair ». Landru a demandé comme dernière volonté de pouvoir se laver les pieds, ce qui lui a été refusé par peur d'un suicide. Peu avant son exécution, alors qu'on lui propose un verre de rhum et une dernière cigarette, Landru décline l'offre et répond : « Ce n'est pas bon pour la santé. ». A son avocat qui, au pied de l'échafaud, lui demandait si, finalement, il avouait avoir assassiné ces femmes, Landru répondit : « Cela, Maître, c'est mon petit bagage... ».

Il fut enterré dans la partie réservée aux condamnés à mort du cimetière des Gonards à Versailles, le législateur ayant fait supprimer l'inscription pour éviter la curiosité, son corps aurait été par la suite récupéré par la famille et inhumé discrètement ailleurs.

Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici.


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