Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers en route vers une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.

Ce qui m’intéresse, c’est le sens courant du mot Sirāt, qu’on pourrait traduire par “chemin” ou “voie”. Un chemin à deux dimensions, l’une physique, l’autre métaphysique ou spirituelle. Sirāt pourrait être ce chemin intérieur qui te pousse à mourir avant de mourir, comme c’est le cas pour Luis, le personnage principal de ce film. On appelle aussi Sirāt le pont qui relie l’enfer et le paradis.
Nous sommes nombreux à nous demander si, en tant qu’individus et en tant que collectif, nous serons un jour capables de changer, de ne plus répéter toujours les mêmes erreurs. Rien ne le garantit. Nous vivons une époque déstabilisante. Même avec les meilleures intentions, même quand l’environnement nous y oblige, il est très difficile de changer de cap.
En ce sens, Sirāt est un film dur, mais d’une dureté nécessaire et constructive. Les évènements que traversent les personnages les poussent à grandir, à ouvrir en eux un espace de transformation. Ce moment où ils touchent le fond, avec violence, les oblige à se confronter à eux-mêmes. Ils n’ont plus rien à perdre. Leur ego a été balayé par les soubresauts. Ils n’ont plus peur, sont prêts à traverser les mines, à apprendre à danser avec l’éternité.
Dans Le goût de la cerise, Kiarostami a abordé la mort de façon si frontale qu’il nous a offert, au bout du compte, une ode à la vie. Cette dialectique m’a profondément inspiré pour ce film. On pourrait dire que Sirāt est un film sur la mort. Mais je pense que c’est avant tout un film sur la vie – sur ce qu’il reste après avoir touché le fond, sur la survie.
Chaque jour, en ouvrant le journal, nous sommes saisis par des bouffées d’angoisse, un effondrement latent. Fin d’un monde, d’une époque – ou pire. Sommes-nous prêts ? J’aimerais que ce film parle de ce sentiment partagé par beaucoup d’entre nous : ce goût de crépuscule. Mais attention, il y a beaucoup de lumière dans ce crépuscule. Le monde nous oblige à regarder en nous, comme le font les personnages du film. Et c’est un geste fondamental. Un mouvement intérieur que nous espérons partager avec Sirāt : une lumière née de l’obscurité.
Prix du Jury au 78e Festival de Cannes - 4,3 étoiles sur Allociné