Un homme est mort au Roi Soleil, un bar-pmu à Versailles. Il laisse un ticket de loto gagnant de plusieurs millions d’euros. En s’arrangeant un peu avec la réalité et leur conscience, les témoins du drame pourraient repartir avec l’argent... Et si la vérité n'était qu'un scénario bien ficelé ?

Au tout départ, il y a quelque chose qui me fascine dans les jeux de hasard et d’argent : « c’est quoi, quelqu’un qui joue au loto, dans un bar, aujourd’hui ? ». Avec l’idée qu’il y a quelque chose d’assez décisif dans le fait de jouer, de gratter, d’imaginer gagner. C’est un geste qui se passe dans la rue, le matin, le soir, dans des cafés et qui concerne tout le monde – les hommes, les femmes, les riches, les pauvres. C’est à la fois socialement totalement accepté, anodin, courant, et en même temps, légèrement dévalorisé, un peu douteux. On se dit que c’est un peu idiot de jouer parce qu’on sait très bien qu’on n’a aucune chance de gagner. Et, en même temps, ce n’est pas vrai, on a bien une chance de gagner. Une infime chance. Mais il est évidemment déraisonnable de se raccrocher à cette idée. Enfin il y a quand même une notion de croyance. Ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas. Et puis je tombe sur un livre, déroutant, de Christophe Tarkos : « L’Argent », un long poème de quarante pages qui ressasse de manière magnifique comment « l’argent est la valeur sublime », comment l’argent conditionne intégralement notre rapport aux autres et au monde, comment nous ne pouvons pas nous dégager de son prisme. Alors je repense à la loterie et je ne la vois plus comme un phénomène isolé mais comme un symptôme d’une condition commune, peut-être le symptôme le plus évident, le plus transparent de notre rapport « englué » à l’argent ou à la fortune comme ultime recours pour se sauver dans un monde réduit à sa dimension matérielle.
Je ne choisis pas vraiment. Dans ma situation de départ – des gens qui ne se connaissent pas et qui doivent se mettre d’accord pour raconter ce qui vient de leur arriver – il y a un peu de tout. Il y a l’ordinaire d’une situation qui pourrait arriver à n’importe qui. L’extraordinaire de la mort accidentelle, bien sûr. Mais aussi le caractère plus léger et comique du ticket gagnant. Il y a beaucoup d’improbable. La situation flirte avec le burlesque. Et puis, il y a effectivement quelque chose d’extrêmement noir, de triste et de dur dans ce que ça raconte de notre condition humaine. Une espèce d’aliénation par rapport à l’argent. Une soumission au rêve, une défaite du réel face à la fiction. Et cet élément, associé à l’idée de contamination mortifère de la réalité par l’élucubration va tirer le film vers le genre. Cela va l’aspirer.
Je n’ai pas le sentiment ni l’ambition de faire un film politique au sens d’un film à message. Mais j’espère que le film est politique. En tout cas, je pense qu’il essaie d’être politique dans l’empathie qu’il a à l’égard de personnages qui sont broyés moins par l’appât du gain que par la croyance que, peut-être, cette fois, c’est leur chance, que c’est leur tour. Et s’il y a de la bassesse et du cynisme ici ou là, il y a surtout une espèce de bêtise face à l’incommensurable. Et ça c’est simplement humain. Beaucoup plus de mauvais choix que de mauvaises intentions.
Drame, Thriller de Vincent Maël Cardona. Séléction officiel festival de Cannes 2025. 3,3 étoiles AlloCiné.