La Cour de cassation vient de trancher : dans les baux commerciaux, le non-respect des délais de paiement fixés par le juge entraîne l’acquisition automatique de la clause résolutoire, même si le bailleur agit de mauvaise foi. Un revirement qui change la donne pour les locataires et renforce la position des propriétaires.
La question de l’application de la clause résolutoire dans les baux commerciaux, et plus particulièrement de ses limites face à la mauvaise foi du bailleur, vient de connaître une évolution notable avec un arrêt de la Cour de cassation rendu le 24 novembre 2023. Par cette décision, la haute juridiction confirme que le non-respect des délais de paiement fixés par une ordonnance de référé passée en force de chose jugée entraîne l’acquisition définitive de la clause résolutoire, sans que le comportement du bailleur, même empreint de mauvaise foi, puisse faire obstacle à ses effets.
Un bailleur commercial avait saisi la justice afin de faire constater la résiliation d’un bail en raison du non-paiement de loyers par son locataire. Une ordonnance de référé, non frappée d’appel et donc passée en force de chose jugée, avait néanmoins accordé un échéancier au locataire : celui-ci était autorisé à régler une dette de 20 031 € en vingt-quatre mensualités. Cette décision prévoyait également la suspension de la clause résolutoire, avec la précision qu’elle reprendrait automatiquement effet en cas de défaut de paiement selon le calendrier fixé.
Cependant, le locataire n’ayant pas totalement respecté ces délais, le bailleur demanda la mise en œuvre de la clause et l’expulsion du locataire.
Les juges du fond refusèrent de constater l’acquisition de la clause résolutoire. Ils motivèrent leur décision par le fait que le bailleur avait agi de mauvaise foi : en huit mois seulement, le locataire avait versé 20 000 € sur une dette initiale de 20 031 €, alors que l’ordonnance lui accordait vingt-quatre mois pour s’acquitter de la totalité. Il ne restait donc qu’un solde dérisoire de 31 € à régler. Dans ces conditions, les magistrats estimèrent que la mauvaise foi du bailleur, consistant à invoquer la clause pour une dette résiduelle quasi insignifiante, devait empêcher sa mise en œuvre.
Saisie du pourvoi, la troisième chambre civile casse cette décision. Elle se fonde sur l’article L. 145-41, alinéa 2 du code de commerce, qui prévoit deux principes clairs :
Le juge peut suspendre la clause résolutoire en accordant des délais de paiement au locataire lorsque la résiliation n’a pas encore été constatée par une décision de justice définitive.
La clause résolutoire ne joue pas si le locataire s’acquitte de sa dette dans les conditions fixées par le juge.
En conséquence, si le locataire ne respecte pas les délais impartis, la clause résolutoire devient automatiquement acquise. Aucune circonstance, et notamment la mauvaise foi du bailleur, ne peut alors venir neutraliser cet effet.
La Cour de cassation juge donc qu’en l’espèce, le fait que le locataire ait réglé presque toute la dette mais avec un léger retard par rapport à l’échéancier fixé n’empêchait pas la clause de produire ses effets. Dès lors, la demande d’expulsion formulée par le bailleur devait être accueillie.
Cette solution marque une rupture avec une jurisprudence plus ancienne. En effet, dans un arrêt du 5 juillet 1995 (Cass. 3e civ., n° 93-15.637), la Cour de cassation avait admis que la mauvaise foi du bailleur pouvait empêcher la mise en œuvre de la clause résolutoire, lorsque les difficultés rencontrées par le locataire pour honorer ses dettes étaient directement liées à cette mauvaise foi. Autrement dit, les juges du fond pouvaient refuser de constater la résiliation si le bailleur avait lui-même contribué à empêcher le règlement de la dette.
Avec la décision du 24 novembre 2023, cette approche est abandonnée. Désormais, la clause résolutoire s’applique de plein droit en cas de non-respect des délais fixés par le juge, indépendamment du comportement du bailleur.
Cette nouvelle position renforce la prééminence du texte légal et sécurise la situation du bailleur. Elle réduit la marge d’appréciation des juges du fond, qui ne peuvent plus neutraliser la clause en invoquant la mauvaise foi du propriétaire. Pour les locataires, en revanche, cette évolution constitue un avertissement : même un léger manquement ou un retard minime dans le respect de l’échéancier fixé par le juge peut entraîner la résiliation automatique du bail, et ce malgré les efforts déjà accomplis pour régler la dette.
L’arrêt souligne donc l’importance du respect strict des délais judiciaires. Il rappelle également que la suspension de la clause résolutoire accordée par le juge est une mesure de faveur, qui ne peut être prolongée ou assouplie par la seule interprétation des juges du fond.
Par cet arrêt du 24 novembre 2023, la Cour de cassation confirme une approche plus rigoureuse et formaliste de la clause résolutoire en matière de baux commerciaux. Le message est clair : lorsque des délais de paiement ont été fixés par le juge, leur non-respect entraîne l’acquisition définitive de la clause résolutoire, et la mauvaise foi du bailleur ne peut être invoquée pour s’y opposer.
Ce revirement jurisprudentiel a pour effet de renforcer la sécurité juridique des bailleurs, mais il alourdit le risque encouru par les locataires, qui doivent désormais faire preuve d’une vigilance accrue dans le respect des échéances fixées.
Source : Daylight Avocats. Photo : Ruslan Burlaka - Pexels.