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Révocation du dirigeant de SAS : une décision unanime des associés peut-elle déroger aux statuts ?


M. [L]-[V] a été révoqué de son poste de directeur général de la société B suite à une décision unanime des associés prévoyant des conditions de révocation spécifiques différentes de celles des statuts. La Cour de cassation a jugé que cette décision ne pouvait déroger aux statuts et a donc rejeté ses demandes liées à cette révocation...

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2023) et les productions, le 2 octobre 2019, la société A a cédé l’intégralité des actions qu’elle détenait dans le capital de la société B à la société C

2. L’article 23.2 des statuts de la société B stipule que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’un juste motif soit nécessaire, par décision du président. »

3. Lors d’une assemblée générale du 2 octobre 2019, les associés de la société B ont, à l’unanimité, nommé M. [L]-[V] en qualité de directeur général et adopté les conditions d’exercice de son mandat telles que figurant dans une annexe au procès-verbal, prévoyant que le mandat de directeur général peut être révoqué dans trois hypothèses précisément définies.

4. Le 26 juin 2020, la société D, agissant en tant que présidente de la société B, a révoqué M. [L]-[V] de ses fonctions de directeur général.

5. Face au refus de la société B de lui régler certaines sommes au titre de la cessation anticipée de son mandat, M. [L]-[V] l’a assignée en paiement de dommages et intérêts.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société B fait grief à l’arrêt de dire que M. [L]-[V] a été révoqué sans juste motif de ses mandats de directeur général des sociétés B et E, de la condamner à lui payer certaines sommes au titre de la résiliation anticipée de ce mandat, de la perte de son véhicule de fonction et du caractère vexatoire et brutal de la révocation, et de dire que ces sommes produiront intérêt légal à compter de la date du prononcé du jugement, alors :

« 1°/ qu’il résulte de la combinaison des articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général ; que les actes extra-statutaires ne peuvent y déroger ; qu’en affirmant, pour juger que M. [O] [L]-[V] avait été révoqué sans juste motif de ses mandats de directeur général des sociétés B et E et entrer en voie de condamnation, qu’il y avait lieu d’appliquer l’annexe 1 du procès-verbal de l’assemblée générale mixte de la société B en date du 2 octobre 2019 qui fixait des conditions de révocation dérogatoires aux statuts de la société B lesquels permettaient la révocation ad nutum et sans indemnités du directeur général, la cour d’appel a violé les articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce ;

2°/ que les actes extra-statutaires ne peuvent déroger aux stipulations des statuts d’une société par actions simplifiée relatives aux modalités de révocation de son directeur général quand bien même ils auraient été votés à l’unanimité des associés et dans les conditions requises pour modifier les statuts, dès lors que cette modification n’a, en définitive, pas été réalisée ; qu’en retenant le contraire, pour juger que M. [O] [L]-[V] avait été révoqué sans juste motif de ses mandats de directeur général des sociétés B et E et entrer en voie de condamnation, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce :

7. Il résulte de ces textes que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles celle-ci est dirigée, notamment les modalités de révocation de ses dirigeants. Si une décision des associés peut compléter les statuts sur ce point, elle ne peut y déroger, quand bien même aurait-elle été prise à l’unanimité.

8. Pour dire que M. [L]-[V] a été révoqué sans juste motif de son mandat de directeur général de la société B, l’arrêt relève que si les statuts de cette société prévoient une révocation ad nutum du dirigeant social, les associés de la société ont, lors de l’assemblée générale ayant désigné M. [L]-[V] en qualité de directeur général, approuvé des conditions de révocation différentes. Il retient que cette décision, prise à l’unanimité lors d’une assemblée générale, démontre la volonté expresse des associés de déroger aux statuts par une décision collective prise aux conditions requises pour modifier les statuts et qu’elle s’impose à la société, quand bien même les statuts n’auraient pas fait l’objet d’une modification, sans que soit méconnu le principe de primauté des statuts sur un acte extra-statutaire. L’arrêt en déduit que les dispositions des statuts de la société B ne peuvent être invoquées pour écarter la demande de M. [L]-[V] fondée sur la décision collective des associés organisant différemment les conditions de sa révocation et qu’il convient de faire application des conditions de révocation prévues par l’annexe au procès-verbal de l’assemblée générale du 2 octobre 2019.

9. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation du chef de dispositif disant que M. [L]-[V] a été révoqué sans juste motif de son mandat de directeur général de la société B n’emporte pas celle du chef de dispositif condamnant la société B à payer la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts à M. [L]-[V] au titre de sa révocation réalisée de manière vexatoire et brutale.

11 Tel que suggéré par la demanderesse au pourvoi, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. La cassation prononcée n’implique pas, en effet, qu’il soit à nouveau statué sur le fond.

13. La décision de l’assemblée générale des associés de la société B du 2 octobre 2019 sur laquelle il fonde ses demandes contredisant l’article 23.2 de ses statuts, il y a lieu de rejeter la demande de M. [L]-[V] tendant à voir dire qu’il a été révoqué sans juste motif de son mandat de directeur général de la société B, à voir condamner la société B à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 100 000 euros au titre de la résiliation anticipée de son mandat et la somme de 9 400 euros au titre de la perte de son véhicule de fonction, et à voir dire que ces sommes produiront intérêt légal à compter de la date du prononcé du jugement.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il dit que M. [L]-[V] a été révoqué sans juste motif de son mandat de directeur général de la société E, rejette la demande de M. [L]-[V] de se voir payer, à titre de « dédommagement chômage », la somme de 54 423 euros, sa demande d’intérêt légal à compter de la date de mise en demeure, sa demande de capitalisation des intérêts et condamne la société B à payer la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts à M. [L]-[V] au titre de sa révocation réalisée de manière vexatoire et brutale, et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 16 novembre 2023, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande de M. [L]-[V] tendant à voir dire qu’il a été révoqué sans juste motif de son mandat de directeur général de la société B, à voir condamner la société B à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 100 000 euros au titre de la résiliation anticipée de son mandat et la somme de 9 400 euros au titre de la perte de son véhicule de fonction ;

Condamne M. [L]-[V] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le neuf juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

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