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Reine mère


Amel est un personnage haut en couleur. Elle a du tempérament, de l’ambition pour ses deux filles, une haute estime d’elle-même et forme avec Amor un couple passionné et explosif. Malgré les difficultés financières elle compte bien ne pas quitter les beaux quartiers. Mais la famille est bientôt menacée de perdre son appartement tandis que Mouna, l’aînée des deux filles, se met à avoir d’étranges visions de Charles Martel après avoir appris qu’il avait arrêté les Arabes à Poitiers en 732… Amel n’a plus le choix : elle va devoir se réinventer...

Entretien avec Manèle Labidi

Les partis pris artistiques

Avant le tournage, j'ai dit à l'équipe et au chef opérateur Pierre-Hubert Martin que je voulais faire un film « mal élevé », qui assumerait son trop-plein, ses ruptures de tons, à l'image de l'irrévérence qui caractérise les personnages du film. Nous avons exclu d'emblée une caméra à l'épaule collée à la nuque des personnages, pour les filmer dans leurs espaces, sans surplomb. L'utilisation de l'optique anamorphique s'est imposée très vite pour jouer avec cette déformation du réel. Nous nous sommes amusés avec le travail sur la couleur du film en assumant une image trop saturée, parfois déviante selon les couleurs : un peu trop verte, un peu trop rouge, trop dense, trop sombre, trop claire. Cette approche culmine dans la scène de comédie musicale et l'apparition inattendue du noir et blanc. Enfin, concernant le traitement de l'époque, même si l'intrigue se déroule en 1991, je voulais constamment faire dialoguer le film avec le présent. Je voulais éviter toute fétichisation des années 90 dans la direction artistique et pour cela il a fallu modérer le jeu de la reconstitution.

La comédie, encore et toujours !

Le film est traversé par les sujets du déracinement, du racisme, des discriminations mais je les aborde avec humour et distance. Je n'éprouve pas le besoin de me cacher derrière l'esprit de sérieux pour légitimer mon travail. Je vois l'humour comme un outil de résistance incroyable, une façon d'affirmer sa supériorité sur ce qui nous arrive, pour reprendre Romain Gary. Je refuse de filmer des personnages acculés ou écrasés. Je veux au contraire leur offrir des voies d'émancipation et c'est dans cette forme ample teintée d'humour et de fantaisie qu'ils ont cette puissance d'agir.

Le choix du casting

Dans ce film, j'ai voulu créer un couple de cinéma dont on se souviendrait et qu'on n'avait encore jamais vu incarné par des personnages français d'origine arabe. J'ai d'abord rencontré Sofiane Zermani pour le rôle d'Amor. J'ai eu envie de lui proposer d'aller sur un terrain nouveau, vers une masculinité affirmée mais sensible et lumineuse. Le personnage d'Amor n'est pas l'archétype de la masculinité arabe toxique souvent rabâchée dans la fiction, c'est avanttout le portrait d'un homme ordinaire, amoureux de sa femme et de sa famille. Sofiane, grâce à sa cinégénie, sa présence et sa malice à la Vittorio Gassman, a réussi à créer un personnage inattendu et inédit. Quand j'ai rencontré Camélia Jordana, j'ai été séduite par son intelligence, son humour et son charisme. Elle savait exactement qui était Amel, elle la connaissait déjà... Je lui ai parlé de « Bellissima » de Visconti et du personnage flamboyant incarné par Anna Magnani, qui face à un système qui tente de la soumettre, reste indomptable. Nous avonsorganisé une lecture avec Sofiane le lendemain  et dès les premières secondes, l'alchimie opérait et le couple s'est imposé sans hésitation. Damien Bonnard s'est aussi imposé très rapidement. Je sentais chez lui un potentiel de comédie, une comédie subtile qui s'impose sans forcer. Je cherchais aussi pour le personnage de Martel un acteur doté à la fois d'une rudesse et d'une âme d'enfant. Damien allie les deux avec une poésie qui lui est propre.
Au casting, Rim Monfort s'est distinguée par son instinct du jeu et par une maturité étonnante. Je lui ai d'ailleurs conseillé de voir « Paper Moon » de Peter Bogdanovich pour lui montrer comment je voulais traiter l'enfance, sans mièvrerie, un film dans lequel le duo enfant/adulte est mis sur un pied d'égalité.

Drame de Manele Labidi. 3,8 étoiles AlloCiné.

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