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L’Attachement


Sandra, quinquagénaire farouchement indépendante, partage soudainement et malgré elle l’intimité de son voisin de palier et de ses deux enfants. Contre toute attente, elle s’attache peu à peu à cette famille d’adoption.

Entretien avec Carine Tardieu

Avez-vous tout de suite eu en tête ce nouveau titre, « L’Attachement » ?

Pendant un moment le film s’est appelé « Le bruit des enfants », reprenant cette idée de la vitalité qu’ils imposent et opposent à la mort. Mais ce titre me semblait réducteur, car si les enfants sont à l’origine des liens qui unissent l’ensemble des protagonistes de cette histoire, l’engagement affectif de chacun des adultes y dépasse la question de la seule parentalité. Le titre définitif s’est imposé à moi vers la fin de l’écriture lorsque m’est revenue en mémoire la théorie de John Bowlby selon laquelle l’attachement, chez le nouveau-né se fait en plusieurs étapes et se solidifie en fonction de la qualité, de la fréquence et de la stabilité des soins qu’il reçoit  : l’enfant s’attache d’abord à celui qui prend soin de lui ; c’est une sorte d’instinct de survie qui n’est pas forcément synonyme d’amour ou d’affection. En bref, « nécessité fait loi ». Elliott et Alex s’attachent d’abord à leur voisine non pas parce que c’est elle, mais parce qu’elle est là... L’affection qu’ils se portent n’est qu’une conséquence de l’attachement : dans un premier temps, c’est une question de survie...

Aviez-vous en tête les acteurs à l’écriture du scénario ?

En écrivant, j’ai plutôt tendance à prendre pour référence des comédiens disparus, ainsi, je suis certaine que les acteurs avec qui je vais travailler vont m’apporter une dimension supplémentaire que je n’avais pas imaginé des personnages. C’était d’autant plus flagrant avec Valeria Bruni-Tedeschi, car le personnage de Sandra était pour elle une sorte de contre-emploi. Dès la préparation, avec sa sacoche, ses baskets, son jean, ses lunettes et cette coupe de cheveux plutôt courte, nous lui avons forgé une silhouette inédite qu’elle a d’ailleurs tout de suite adoptée. Mais l’habit n’est pas suffisant et rentrer dans les marques de « la Sandra » que j’avais en tête n’a pas été si simple. Valeria est d’un naturel assez expansif, elle est chaleureuse, on la connaît d’ailleurs plutôt dans des rôles extravertis. Or, à l’écriture, Sandra était au contraire une femme posée, dans la retenue voire distante, une femme qui pèse ses mots. Sur le plateau j’ai dû réfréner son naturel pour tenir le fil du personnage. Ce n’était pas toujours simple ni pour elle ni pour moi d’autant que je suis une réalisatrice très directive et attachée au texte et que Valeria a besoin d’avoir un grand espace de liberté, de se réapproprier éventuellement les dialogues. Mais son incarnation, si organique, va bien au-delà de mes espérances.

Raphaël Quenard et Vimala Pons étant aussi des acteurs très instinctifs, comment avez-vous travaillé avec eux ?

Je dirais que Raphaël a les défauts de ses qualités : il a une personnalité tellement affirmée et imposante, qu’il faut parfois le travailler au corps pour que le personnage prenne la main sur l’acteur. J’avais envie de l’emmener vers un rôle plus en retenue que dans ses précédents films, moins expansif. Le personnage de David marche sur des œufs - tout au moins dans la première partie du film. Il s’agissait de l’inviter à trouver un autre rythme de diction, de retenir un peu son allégresse, de le faire revenir au texte, en l’aidant notamment à gommer toutes les scories de langage (« hein », « tu vois », « du coup », « en fait »...). Il s’y est attelé avec plaisir je crois. Vimala est une actrice très généreuse, sérieuse, c’est une grande travailleuse, toute à la fois terrienne et lunaire. Toujours intense, imprévisible, mais à l’écoute, elle peut être tout et son contraire : d’une prise à l’autre, elle peut maîtriser ses sentiments ou s’abandonner complètement à l’émotion, quitte à parfois perdre un peu le contrôle. Mais ses débordements restent très émouvants et faciles à canaliser. 

Drame de Carine Tardieu. 4,2 étoiles AlloCiné.

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