Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
Entretien avec Robin Campillo
Enzo, un rôle-titre.
Eloy a permis ainsi à Enzo d’échapper au portrait de l’adolescent en conflit avec sa famille et la société. Il y a chez Enzo quelque chose de Bartleby, une force d’inertie qui est au fond une réponse encore plus radicale à ce que l’on attend de lui. À travers lui, Laurent souhaitait faire le portrait d’un jeune apprenti qui échappe à la contrainte de la trajectoire scolaire et ses nouveaux outils de contrôle (le fameux Parcoursup que suit son frère Nathan) et qui tente de se confronter à la brutalité du monde. C’est-à-dire à la réalité du travail ouvrier, puis au contact de Vlad et Miroslav, à la menace de la guerre. C’est comme si Enzo cherchait à devancer l’appel aux armes, non pas parce qu’il serait courageux, mais parce qu’il a peur au contraire du monde qui se profile. Face à une famille qui lui propose un quotidien paisible, solaire au bord d’une piscine, il est un adolescent résolument du côté de la lune, de la nuit et des vagues qui se fracassent au pied des falaises. Il s’invente un romantisme qui pourrait l’arracher à cette famille qu’il ne reconnaît pas.
Pour Enzo, ce romantisme va justement s’incarner dans le personnage de Vlad, qui est en quelque sorte son parrain sur le chantier et qui va peu à peu devenir l’objet de son désir. Nous n’étions pas d’accord avec Laurent sur la nature du désir d’Enzo. Pour Laurent, l’adolescent avait une sexualité fluide qui ne s’interdit aucune expérience, pour moi à travers ce fantasme d’ouvrier étranger, Enzo découvrait un nouveau pan de sa libido. La vérité est que ni Laurent ni moi n’en savions rien. Et le film, pas plus que la vie, n’essaie jamais de statuer sur le sujet. Le film n’est d’ailleurs à aucun moment un film sur le coming out. Enzo sait sans doute trop bien que Vlad ne peut répondre à ses sentiments (il est mineur et Vlad est hétéro). Mais le désir qui porte Enzo vers Vlad est un espoir plus important qu’une simple histoire d’amour ou de sexe. Ce que recherche Enzo, c’est un compagnon d’armes face à l’incertitude des temps présents, c’est pourquoi ce désir n’est pas exempt d’un certain virilisme.
La famille est peut-être la construction la plus aléatoire de la société. Enzo se sent en tout cas comme un déclassé dans la sienne. Laurent tenait à ce que l’adolescent ne soit pas montré comme une chenille en crise qui peine à atteindre l’âge adulte, mais plutôt un personnage totalement déconnecté de sa famille. Bien sûr son père a-t-il raison de lui dire qu’au fond il n’est « qu’un petit bourge qui se raconte des histoires », mais pour autant ce qui angoisse Paolo c’est qu’il reconnaît en son fils une part d’ombre qui est sans doute la sienne. Il ressent donc son fils comme une forme de reproche permanent qui met en crise le confort social de la famille. Enzo reste un mystère pour lui : pourquoi n’accepte-t-il pas de se conformer à l’insouciance de la bourgeoisie ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de se fondre dans un projet familial pourtant si rassurant : profiter des beaux jours, de la mer, du soleil, d’une sortie en bateau, des ruines en plein midi. Profiter avant qu’il ne soit trop tard.
Drame de Laurent Cantet, Robin Campillo. 3,8 étoiles AlloCiné.