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Mal se conduire n'est pas un motif de licenciement


Mme [N], vendeuse chez l'entreprise S, a été licenciée après avoir fumé le narguilé dans sa cabine lors d'une croisière professionnelle, en présence d'une collègue enceinte, enfreignant les règles de sécurité. La cour de cassation a suivi la cour d'appel qui a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, estimant que les faits relevaient de sa vie personnelle et n'avaient pas causé de trouble caractérisé à l'entreprise.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2022), Mme [N], engagée en qualité de vendeuse par la société S distribution (la société) le 15 novembre 2010, a participé à une croisière en Floride organisée du 26 au 31 mars 2015 par la société pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise.

2. A la suite d’un incident survenu lors de cette croisière, elle a été rapatriée le 30 mars 2015 et a été licenciée par lettre du 29 avril suivant, son employeur lui reprochant d’avoir, au mépris des règles de sécurité applicables à bord du bateau, fumé le narguilé dans sa cabine, en présence d’une autre salariée de l’entreprise enceinte, et obstrué le détecteur de fumée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée la somme de 18 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à celle-ci à compter du licenciement dans la limite de six mois, alors :

« 1°/ qu’un fait commis hors du temps et du lieu de travail peut justifier un licenciement s’il se rattache à la vie professionnelle du salarié ; que tel est notamment le cas d’un manquement aux règles de sécurité commis à l’égard notamment de collègues à l’occasion d’un séjour organisé par l’employeur dans le but de récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise ; qu’en l’espèce, la salariée avait reconnu avoir, lors d’un voyage organisé par l’employeur pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise et durant lequel ces derniers étaient rémunérés, fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait durant la croisière avec une autre salariée enceinte, et avoir obstrué le détecteur incendie ; que l’employeur faisait valoir qu’il avait été informé de ces manquements aux règles de sécurité, mettant en danger les 130 autres salariés présents et l’ensemble des passagers, par le commandant de bord qui avait ordonné le débarquement anticipé de la salariée, la société étant alors contrainte de prendre des mesures d’urgence et à exposer des frais pour loger et rapatrier la salariée et ayant subi une atteinte à son image ; que pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a énoncé que la salariée ne se trouvait pas au moment des faits au temps du travail et ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination, qu’elle ne se trouvait pas soumise aux règles en vigueur au sein de l’entreprise puisque les faits avaient eu lieu en dehors du lieu de travail, que si, en principe, il ne pouvait être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en était autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, avait créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière, que la société S distribution ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise, dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage ayant pu être informés de l’incident, ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers, qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narguilé sur la santé de la personne qui partageait sa cabine ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage ; qu’en statuant de la sorte, par des motifs inopérants, quand les faits litigieux se rattachaient à la vie professionnelle de la salariée et qu’elle relevait elle-même le sérieux des fautes commises par la salariée au regard de la sécurité, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l’article L. 4122-1 du même code ;

2°/ qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier son licenciement s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation résultant de son contrat de travail ; qu’en l’espèce, la salariée avait reconnu avoir, lors d’un séjour organisé par l’employeur pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise, fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait durant la croisière avec une autre salariée, enceinte, et avoir obstrué le détecteur incendie qui l’était ensuite resté une partie de la matinée, jusqu’à la découverte des faits par l’équipe de nettoyage ; que l’employeur faisait valoir que la salariée avait ainsi manqué à plusieurs obligations résultant de son contrat de travail, à savoir son obligation de sécurité et les principes de préséance et savoir-être s’imposant à elle au regard de la nature de ses fonctions de vendeuse, rappelés dans sa fiche de poste ; que pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a énoncé que la salariée ne se trouvait pas au moment des faits au temps du travail et ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination, qu’elle ne se trouvait même pas soumise aux règles en vigueur au sein de l’entreprise puisque les faits avaient eu lieu en dehors du lieu de travail, si, en principe, il ne pouvait être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en était autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, avait créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière, que la société S distribution ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise, dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage qui avaient pu être informés de l’incident ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers, qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narguilé sur la santé de la personne qui partageait sa cabine ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage ; qu’en statuant de la sorte, par des motifs inopérants, quand les faits litigieux constituaient une violation par la salariée d’obligations résultant de son contrat de travail et qu’elle relevait elle-même le sérieux des fautes commises par la salariée au regard de la sécurité, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l’article L. 4122-1 du même code ;

3°/ que si, en principe, il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle, il en est autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière ; qu’un tel trouble peut être retenu en l’absence de perturbation du fonctionnement de l’entreprise, et peut notamment se déduire des frais exposés par l’employeur du fait du comportement du salarié et de l’atteinte portée à l’image de l’entreprise par ce comportement ; qu’en l’espèce, la salariée avait reconnu avoir, lors d’un séjour organisé par l’employeur pour récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise, fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait durant la croisière avec une autre salariée enceinte, et obstrué le détecteur incendie qui l’était ensuite resté une partie de la matinée, jusqu’à la découverte des faits par l’équipe de nettoyage, faits ayant justifié le débarquement anticipé de l’intéressée ; que l’employeur faisait valoir, d’une part, qu’il avait dû, en raison de ce débarquement anticipé, prendre des mesures d’urgence et engager des frais pour loger et rapatrier la salariée et d’autre part, qu’à l’occasion de ce voyage d’entreprise, censé fédérer les salariés de la société et récompenser l’exemplarité des lauréats, la société avait vu son image nécessairement dégradée par cet événement, à l’égard notamment des 130 autres salariés de l’entreprise présents et de l’équipage dont une partie au moins était francophone, la société étant clairement identifiée à bord notamment en raison d’espaces identifiés comme lui étant réservés ; qu’en se bornant, pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, à affirmer que la société S distribution ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage qui avaient pu être informés de l’incident, ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers, qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narguilé sur la santé de la personne qui partageait sa cabine ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage, sans s’expliquer sur les frais exposés par l’entreprise du fait du débarquement anticipé de la salariée, ni de l’atteinte à l’image de celle-ci, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

4. D’abord, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

5. Ensuite, un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise résultant d’un fait tiré de la vie personnelle d’un salarié ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu.

6. La cour d’appel, après avoir constaté que le licenciement avait été prononcé pour faute, a d’abord, retenu que, s’agissant d’un voyage touristique quoique payé par l’entreprise à titre de récompense, la salariée ne se trouvait pas au temps du travail lorsqu’elle a commis les agissements dont elle ne conteste d’ailleurs pas la réalité et ne se trouvait donc soumise à aucun lien de subordination et n’était même pas soumise aux règles en vigueur au sein de l’entreprise, puisque les faits s’étaient déroulés en dehors du lieu de travail.

7. Elle a, ensuite, relevé que la société ne démontrait pas un trouble caractérisé causé à l’entreprise, dont le fonctionnement était peu influencé par l’opinion des membres de l’équipage qui avaient pu être informés de l’incident, ni par les commentaires qu’avaient pu en faire les passagers et qu’aucune explication n’était donnée sur les éventuels effets de l’usage du narghilé sur la santé de la personne qui partageait la cabine de la salariée, ni même sur une éventuelle opposition de celle-ci à un tel usage.

8. De ces constatations et énonciations, dont il ressortait que les faits reprochés à la salariée relevaient de sa vie personnelle et ne pouvaient constituer un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail, la cour d’appel, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, a exactement déduit que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse.

9. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société S distribution aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société S distribution et la condamne à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq.

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