Depuis environ vingt ans, des chercheurs à Marseille planchent sur la génération de jumeaux numériques du cerveau. Bientôt, cet outil pourra aider à traiter des patients souffrant de formes d’épilepsie résistantes aux médicaments, dans le cadre d’une médecine toujours plus personnalisée.
Reconstruction à haute résolution d’un jumeau numérique cérébral. Les zones corticales et sous-corticales, ainsi que les liens cérébraux, sont capturés sous forme de nœuds de réseau et de connectivité. Le réseau est ensuite transcrit algorithmiquement en équations mathématiques et simule l’activité cérébrale spécifique du patient. © INS Marseille
Générer une copie d’un cerveau, on pourrait croire que cette idée sort d’un roman de science-fiction ou, pire, d’un épisode de la série dystopique Black Mirror. Mais la réalité est bien plus rassurante, elle est même source d’espoir. C’est en effet une technique développée à Marseille afin de traiter les cas les plus récalcitrants d’épilepsie. Et il ne s’agit pas d’une copie à proprement parler, mais d’un jumeau numérique, c’est-à-dire une représentation numérique d’un cerveau. Si le concept paraît simple, il est loin de l’être, et il a nécessité plusieurs décennies de travaux, notamment dans le laboratoire de Viktor Jirsa à Marseille, dans le cadre notamment du Human Brain Project, un projet européen qui consistait à mettre au point un simulateur du cerveau.
Comment les chercheurs créent-ils un jumeau numérique ? « La première étape consiste à réaliser une IRM du cerveau d’un patient, décrit Viktor Jirsa. C’est vraiment de la médecine personnalisée. On obtient alors une reconstruction de la structure géométrique du cerveau, ce que nous appelons la “topographie”. Puis en utilisant l’imagerie par tenseur de diffusion, une technique particulière d’IRM, on obtient la “tractographie”, à savoir la reconstruction de la connectivité entre les différentes aires cérébrales. » Avec ces deux étapes, les scientifiques obtiennent une sorte de photographie du cerveau, mais non fonctionnelle. C’est un avatar. Pour que le jumeau numérique soit intéressant, il reste à y ajouter de la dynamique, afin de simuler le fonctionnement d’un cerveau en temps réel, rien que ça. Pour cela, il est nécessaire de modéliser son activité. « Il nous a fallu vingt ans pour comprendre le fonctionnement des populations de neurones et le convertir en modèle mathématique, rapporte le chercheur. Nous avons inséré cette modélisation dans l’avatar non fonctionnel. » Et pour que le modèle soit vraiment performant, les chercheurs ont optimisé les nombreux paramètres qui le composent grâce à une forme d’intelligence artificielle, l’apprentissage profond.
Ce type de jumeau numérique de cerveau peut être utilisé pour de nombreuses pathologies, mais « l’épilepsie est la locomotive de ce projet ». On parle dans ce cas de VEP, pour virtual epileptic patient. « Nous nous intéressons aux patients atteints d’épilepsie focale, pour lesquels les crises se déclenchent dans une seule zone du cerveau », précise Fabrice Bartolomei, neurologue à l’hôpital de La Timone à Marseille. Pour environ 30 % d’entre eux, le traitement médicamenteux ne fonctionne pas. Il faut donc faire appel soit à la chirurgie afin de retirer les régions épileptogènes, soit, quand ça n’est pas opérable (parce que la zone épileptogène a une fonction importante, par exemple), à des techniques de stimulation. La plus connue est la tDCS (stimulation transcrânienne à courant direct), qui consiste à envoyer des courants inhibiteurs grâce à des électrodes posées sur le cuir chevelu.
C’est là que le jumeau numérique devient particulièrement intéressant. « Grâce aux cerveaux virtuels épileptiques, on peut simuler des chirurgies ou des stimulations, et donc optimiser les traitements », explique le neurologue marseillais. Un essai clinique en cours (Epinov) réalisé sur environ 400 patients, et dont les résultats sont attendus début 2026, évaluera l’apport des jumeaux numériques. Les patients ont en effet été répartis en deux groupes : dans le premier, les médecins interviennent avant d’avoir pris connaissance du jumeau numérique, dans le second, ils le font sur la base des données fournies par ce dernier.
De plus, un autre essai clinique qui débutera en 2026 (Nautilus) fera appel aux jumeaux numériques pour tester un nouveau type de stimulation, nommé « interférence temporelle », qui atteint des zones cérébrales plus profondes. Car, comme l’explique Fabrice Bartolomei, « la pénétration de la tDCS est faible, et dès lors que la zone épileptogène est trop profonde, ça ne fonctionne pas bien ». Dans ce cas, grâce au jumeau numérique, les cliniciens modéliseront en amont l’effet de ces stimulations dans le cerveau virtuel et optimiseront ces dernières. Puis, dans un second temps, ils appliqueront les résultats de ces modélisations chez le patient. Ces recherches devraient débuter à la fin de l’essai Epinov et, peut-être, faire entrer les jumeaux numériques du cerveau dans la clinique de routine.
Source et photo : Inserm.