Partir ou rester ?
C’est le dilemme d’Anaïs, 17 ans, profondément attachée à son Gers natal dans le Sud-Ouest de la France et à ses amis de la fanfare. Son bac en poche, elle devra quitter sa famille et la vie à la campagne. Au fil de ce dernier été, Anaïs prend conscience de ce qu’elle aime et doit laisser derrière elle : la musique, les fêtes de village, la beauté des champs de tournesols… Mais comment avoir un avenir en pleine « diagonale du vide » ?
Entretien avec Sandrine Mercier et Juan Hidalgo
Juan Hidalgo : L’idée est née un soir de juillet, pendant les fêtes du village de Sandrine dans le Sud-Ouest, où nous passons tous nos étés en famille. Ce soir-là, nous y avions emmené mes cousins espagnols. Ils ont été charmés par le côté typique et folklorique des fêtes.
Sandrine Mercier : Pour eux, on était en plein dans la carte postale. La place du village, les lampions, les bandas qui sont les fanfares locales, le magret de canard à la braise… C’était vraiment le cliché de la France rurale, celle d’où je suis originaire, pour Juan, c’est une autre ruralité, l’Andalousie. Et c’est vrai que d’avoir tout à coup ce regard extérieur, nous a questionnés. On s’est demandé : et si nous étions restés ? La problématique : partir ou rester s’est alors imposée, comme la question dramatique à développer.
Juan Hidalgo : On s’est dit que ce serait intéressant de gratter la carte postale, de détricoter les clichés pour voir ce qu’il y a de l’autre côté, quand la fête est finie. Plonger dans la vie rurale, dans la vie de ceux qui partent mais aussi de ceux qui font tout pour rester, en se disant que l’on ne voyait jamais cette population là.
Sandrine Mercier : Une façon aussi de mettre en lumière ces invisibles, de rendre hommage à nos campagnes. Devant nous, nous avions déjà leur portevoix : les bandas ! On a compris que ce serait un formidable vecteur, c’est comme ça que nous avons débuté l’écriture du projet.
Sandrine Mercier : Nous vivons à Toulouse, en Occitanie et en tant que documentaristes, c’est important de raconter des lieux que l’on connaît bien. Et puis le Gers est incroyablement cinégénique, ses collines, ses vignes, ses champs de maïs ou de tournesols avec les Pyrénées enneigées en toile de fond quand il fait froid. Ce sont des paysages magnifiques. Nous tenions à sublimer cette nature pour que la question dramatique du film : partir ou rester, soit un vrai dilemme. Dans mon cas, c’était aussi un retour aux sources, une sorte d’introspection.
Juan Hidalgo : Et socialement le Gers est intéressant. Il fait partie des 14 départements hyper-ruraux. Ce sont des territoires isolés, très éloignés des villes. Ce qu’on appelle La France profonde. Mais en même temps, ce n’est pas la France réac, et ça c’était fondamental pour nous. Le Gers est encore en majorité une terre de gauche, et on ne voulait surtout pas tomber dans le raccourci, village abandonné = vote RN.
Sandrine Mercier : L’idée était plutôt de dire, venez, on vous emmène là où il n’y a soit disant rien à voir, mais vous allez être surpris !
Juan Hidalgo : Effectivement, c’est une théorie de géographes pour délimiter les espaces qui se vident de leurs habitants, traçant une diagonale du Nord-est au Sud-ouest de la France. C’est une expression profondément péjorative, voire méprisante. On voulait casser cette idée reçue.
Sandrine Mercier : On s’est demandé comment la mettre en image et on a eu l’idée de cette vision de haut, comme un regard hautain sur les campagnes. Un peu comme si dans un laboratoire, on regardait les fourmis se débattre, pour voir comment elles allaient réussir à survivre à leur écosystème.
Juan Hidalgo : La campagne étant très graphique, nous avons joué avec les paysages, pour faire de chaque rang de vigne, de chaque route, une diagonale. Nous avons filmé en top shots. Des plans très hauts, fixes d’abord et pivotant tout doucement jusqu’à devenir une ligne diagonale. Les plans tournent aussi dans le sens des aiguilles dune montre, comme un lent tic-tac, qui rappelle que le dernier été d’Anaïs s’écoule, inéluctablement.
Documentaire de Sandrine Mercier, Juan Gordillo Hildago. 3,8 étoles AlloCiné.