Maria, la soixantaine, aide des personnes plus âgées qu’elle. Tirant le diable par la queue, elle ne se résout pas à sa précaire condition et, par-ci par-là, vole quelques euros à tous ces braves gens dont elle s’occupe avec une dévotion extrême, et qui pour cela l’adorent. Mais une plainte pour abus de faiblesse va venir tout bouleverser.
Michel Vandestien disait "les décors ne sont pas de la décoration". Ils signifient, ils évoquent, ils suggèrent. Par exemple la maison de Maria et Bruno devait raconter leur longue histoire d’amour, de chômage et d’endettement. Ils n’ont pas compris que le capitalisme était une machine à rêves bidons, des rêves non à vivre mais à consommer pour alimenter la course au profit, à la croissance… Tout à crédit : un salon, un canapé, une petite piscine, jolie et rafraîchissante pour l’été. Mais ils ne parviennent plus à l’entretenir, et l’eau stagne comme leur vie. Heureusement leur petit-fils, à travers sa passion pour la musique, est devenu une luciole dans leur nuit, une petite lumière vacillante. Mais il y a un invariant à l’Estaque : la vue est belle. C’est misère avec vue… J’ai moi-même grandi dans un appartement de 30 m2 sans toilettes, mais avec un balcon qui offrait un point de vue infini sur la mer. Je voyais le château d’If, les îles du Frioul, le phare de Marseille… Une vue imprenable ! On était face à un écran sur lequel on pouvait projeter toute la beauté du monde.
Un hasard va bouleverser la vie de Maria et, ensuite, de tous les personnages. Un chèque de caution tombé dans l’eau pendant cevol dans le magasin de musique va modifier le cours de leur existence et donc permettre une narration avec des causes et des effets. Serge Valletti et moi-même avons voulu écrire un film fluide et tendu à l’image d’une mécanique horlogère. L’histoire devait avoir la force de l’évidence jusqu’à la rencontre impensable du fils du volé et de la fille de la voleuse… Et tout ça à cause de ce cambriolage initial.
Il ressemble en effet au personnage de Et la fête continue ! qui aurait vieilli. Il y a aussi forcément des projections de moi-même dans ce personnage qui avance en âge. M. Moreau ne distingue pas beauté et bonté. Moi-même je pense de plus en plus de cette manière-là. Je cherche dans les arts, la musique, la littérature, des choses qui vont dans ce sens-là. C’est aussi une façon personnelle de résister à l’air du temps, comme l’évoque M. Moreau. Pour combattre l’esprit du temps, il n’y a pas que la politique, dont il était question dans Et la fête continue ! On peut aussi suivre des chemins individuels, par des actes ou par une esthétique qui assimile beauté et bonté. Les deux mots sont d’ailleurs les mêmes dans certaines langues africaines.
Il existe une infinité de manières d’expliquer et d’interpréter une action ou un dialogue écrit dans un scénario, et je me refuse à en parler avec les acteurs. Si je leur dis mes vœux, lorsque j’en ai, ils vont tout faire pour me contenter. Si je ne leur dis rien, ils vont inventer parfois une façon à laquelle je n’aurais jamais pensé et ainsi enrichir considérablement le pressentiment que j’ai du film. Quand cela arrive, c’est une joie indescriptible. Il n’y a plus qu’à améliorer, adapter aux contraintes du tournage le chemin ouvert. Il faut extirper ce mythe de l’auteur qui sait exactement ce qu’il veut comme si le tournage et le montage ensuite n’étaient que l’exécution d’un plan défini dans ses moindres détails. Les techniciens et les acteurs ne sont pas des marionnettes entre les mains d’un démiurge. Nous savons tous qu’il y a un film à trouver et nous le cherchons ensemble.
Drame de Robert Guédiguian. Propos recueillis par Marie-Christine Damiens. 3,5 étoiles AlloCiné.