Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu’au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité.
Entretien avec Walter Salles
J’ai connu la famille Paiva, Rubens, Eunice et leurs cinq enfants Veroca, Eliana, Nalu, Marcelo et Babiu, à la fin des années 60. Ils étaient venus vivre à Rio, ville dans laquelle je revenais après 5 ans à l’étranger. J’ai donc passé une partie de mon adolescence dans la maison qui est au centre du film. C’est dans ce lieu fondateur que j’ai découvert des courants musicaux comme la Tropicália, que j’ai entendu des débats enflammés sur la situation politique pendant la dictature, que j’ai croisé des personnes qui m’ont profondément marqué. La maison des Paiva, comme aussi, différemment, le cinéma, m’a permis de comprendre que le monde était bien plus vaste que je ne pouvais l’imaginer à partir de la réalité de ma propre famille.
Non, elle n’existe plus. Mais l’architecture des années 40 de la maison où nous avons tourné était semblable à celle que la famille Paiva louait à Rio, dans le quartier de Leblon. Nalu nous a envoyé des photos et des informations précises sur la disposition des chambres, l’emplacement et la couleur des meubles issus du modernisme brésilien. C’est à partir de ce matériel que Carlos Conti, notre chef décorateur, a travaillé.
D’abord, il a fallu faire des choix, le livre ayant suffisamment de matière pour donner lieu à une série avec de multiples épisodes. Avec Murilo et Heitor, mais aussi Daniela Thomas qui est une collaboratrice très proche, nous avons pris l’option d’un récit elliptique, où l’on pouvait reprendre les personnages après deux décennies sans devoir expliquer les hors-champs. A partir de ce choix, nous avons plongé dans les photos et les récits de chaque membre de la famille, et de leurs amis, au-delà du livre. J’ai rencontré la plupart des personnes encore vivantes qui sont au cœur de ce récit. Pour mieux comprendre avant de raconter cette histoire. Puis au montage, Affonso Gonçalves a été fondamental pour rendre ces ellipses encore plus radicales. Le film lui doit énormément.
D’abord, l’histoire a son propre temps interne, que j’ai voulu respecter. Les différentes vies d’Eunice, la lente reconstruction d’une mémoire familiale et collective, se sont étalées sur plusieurs décennies. Le fait que ses enfants reprennent ce flambeau fait de Je suis encore là aussi un film sur la transmission. De là ce repas familial qui réunit plusieurs générations de la famille Paiva à la fin du récit, qui est en miroir avec le premier repas du film. Cette construction en boucle incorpore sa propre sphère politique. La scène où Eunice âgée, qui est en train de perdre la mémoire, reconnaît la photographie de son mari lors d’un reportage télévisé sur la Commission des Disparus Politiques, n’est pas fictionnelle. Elle est décrite avec précision dans le livre. C’est ce qui a permis à Fernanda Montenegro, qui joue le rôle d’Eunice âgée, de revivre ce moment dans le film.
Drame, Thriller de Walter Salles. Propos recueillis par Monica Donati. 4,2 étoiles AlloCiné.