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Influence et responsabilité : les dangers méconnus des associations professionnelles


Les dirigeants ont souvent tendance à voir dans une association professionnelle un simple réseau de partage d’informations et de bonnes pratiques. Pourtant, lorsqu’une association dépasse son rôle de conseil et influence directement le comportement de ses membres sur le marché, elle peut engager la responsabilité de ses adhérents. Une récente décision judiciaire rappelle que même des recommandations ou des chartes bien intentionnées peuvent se transformer en risques juridiques concrets. Ignorer cette réalité peut coûter cher à votre entreprise.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 2023), l’association déclarée Collectif pour les acteurs du marketing digital (le CPA), qui regroupe des professionnels de la communication publicitaire dans le secteur du numérique, incluant l’activité dite d’ « emailing » consistant à exploiter des bases de données mises à disposition d’annonceurs pour la diffusion d’un contenu publicitaire par courriels, a élaboré une charte de l’emailing, destinée à garantir le respect de la réglementation relative à la protection des données à caractère personnel et à promouvoir à ce titre des bonnes pratiques.

2. En septembre 2014, la société Snake Interactive est devenue membre du CPA et a adhéré à sa charte de l’emailing.

3. Le 25 février 2021, soutenant faire l’objet de pratiques anticoncurrentielles de la part du CPA consistant à l’exclure de la liste des signataires de la charte et à appeler au boycott des bases de données qu’elle exploitait, la société Snake Interactive a assigné ce dernier en annulation de la décision d’exclusion et cessation de ces pratiques ainsi qu’en réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Snake Interactive fait grief à l’arrêt d’écarter l’application du droit de la concurrence et de rejeter l’ensemble de ses demandes, alors « que, pour critiquer les motifs du jugement ayant retenu que le droit de la concurrence était inapplicable faute de caractérisation d’un marché sur lequel les pratiques intervenaient, la société Snake Interactive exposait, dans ses conclusions d’appel, que le CPA opérait sur le marché français de la publicité sur internet, qui comprend plusieurs secteurs, parmi lesquels l’affiliation et l’emailing, définissait ces deux secteurs et leurs principaux acteurs et précisait que le CPA n’intervenait que dans le segment de l’emailing, qui était suffisamment délimité pour faire application de l’article L. 420-1 du code de commerce et devait être considéré comme le marché à prendre en compte pour les pratiques dénoncées ; qu’en retenant néanmoins, pour juger que le droit de la concurrence n’était pas applicable, que la société Snake Interactive ne précisait pas sur quel marché intervenaient les pratiques anticoncurrentielles reprochées au CPA, la cour d’appel a dénaturé ses conclusions d’appel, en violation de l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :

5. Pour rejeter les demandes de la société Snake Interactive, l’arrêt retient que cette société ne précise pas sur quel marché interviendraient les pratiques anticoncurrentielles qu’elle impute au CPA, lequel intervient dans le secteur de l’emailing,

6. En statuant ainsi, alors que la société Snake Interactive précisait dans ses conclusions que le CPA opère sur le marché français de la publicité sur Internet et renvoyait à la définition de ce marché donnée par l’Autorité de la concurrence dans sa décision n° 22-D-12 du 16 juin 2022, dans laquelle cette dernière indique que ce marché comprend l’activité d’emailing définie comme des « campagnes de marketing direct effectuées par le biais du canal email », la cour d’appel, qui a dénaturé les conclusions de la société Snake Interactive, a violé le principe susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. La société Snake Interactive fait le même grief à l’arrêt, alors « que si une association professionnelle qui se borne à exercer une mission d’information, de conseil et de défense des intérêts professionnels de ses membres n’exerce aucune activité économique et n’est pas comme telle soumise au droit de la concurrence, tel n’est pas le cas lorsque cette association intervient sur un marché en recommandant à ses adhérents de se comporter d’une manière déterminée ; qu’en se bornant à retenir que la société Snake Interactive ne démontrait pas que l’édiction d’une charte professionnelle et sa mise en œuvre par le CPA relevait d’une activité économique distincte de sa mission d’information et de conseil de ses membres sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si le CPA n’avait pas excédé sa mission d’information et de conseil de ses membres en les invitant à adopter un comportement déterminé sur le marché, et plus particulièrement en émettant des consignes les invitant à ne pas travailler avec certaines bases de données, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 410-1 du code de commerce, ensemble l’article L. 420-1 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 410-1 et L. 420-1 du code de commerce :

8. Il résulte de ces textes que lorsqu’un organisme professionnel ou syndical, sortant de sa mission d’information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie ou dont ses adhérents l’investissent, intervient sur un marché au travers d’actes qui invitent ses membres à se comporter d’une manière déterminée sur celui-ci, les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce lui sont applicables.

 9. Pour rejeter les demandes de la société Snake Interactive, l’arrêt retient encore que le critère d’application du droit de la concurrence est la notion d’activité économique, à savoir l’activité de production, de distribution et de service et qu’un syndicat professionnel, dont la mission première est de défendre les intérêts de ses adhérents, n’exerce pas, par nature, d’activité économique hormis le cas où il offre lui-même des biens ou services sur un marché. Il ajoute que la société Snake Interactive ne démontre pas que l’édiction d’une charte professionnelle et sa mise en œuvre par le CPA relèveraient d’une activité économique distincte de sa mission d’information et de conseil de ses membres. L’arrêt en conclut que le CPA n’exerce pas d’activité économique au sens de l’article L. 410-1 du code de commerce, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner au fond l’existence des pratiques anticoncurrentielles dont se prévaut la société Snake Interactive.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, en invitant ses membres à ne pas travailler avec certaines des bases de données exploitées par la société Snake Interactive, le CPA ne leur avait pas demandé d’adopter un comportement déterminé sur le marché de l’emailing, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l’arrêt critiqués par les premier et deuxième moyens entraîne la cassation des chefs de dispositif critiqués par le troisième moyen, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 novembre 2023, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne l’association Collectif pour les acteurs du marketing digital aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’association Collectif pour les acteurs du marketing digital et la condamne à payer à la société Snake Interactive la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le treize novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

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