Été 1998. Campagne. Cassandre a 14 ans. Dans le petit manoir familial, ses parents et son frère aîné remarquent que son corps a changé. Heureusement, Cassandre est passionnée de cheval et intègre pour les vacances, un petit centre équestre où elle se fait adopter comme un animal étrange. Elle y découvre une autre normalité qui l'extrait petit-à-petit d'un corps familial qui l'engloutit.
Entretien avec Hélène Merlin
Dans la mythologie grecque, Cassandre reçoit du Dieu Apollon le don de dire l’avenir mais, comme elle se refuse à lui, il décide que ses prédictions ne seront pas crues. C’est donc une figure féminine lucide et clairvoyante qui dérange et dont la parole n’est pas entendue. Même si l’époque est en train de changer et qu’on écoute davantage la parole des femmes aujourd’hui, ce prénom faisait sens, il permettait de convoquer la force de caractère d’un personnage qui ne se soumet pas. Quant au sous-titre, il précise que c’est le système dans lequel Cassandre se trouve piégée que l’on va découvrir. La famille est la plus petite unité sociale et résonne avec le fonctionnement de la société tout entière. Ce qui m’intéressait, c’était d’observer les mécanismes en action dans ce système et montrer la complexité des situations et des personnages.
Les deux parents sont dessinés de façon un peu baroque pour deux raisons. La première, c’est pour rendre visible ce qui, dans leurs comportements, est profondément dysfonctionnel. On ne perçoit souvent que le haut de l’iceberg, que les conséquences visibles, les passages à l’acte, mais c’est ce qui est en dessous, ou plutôt en amont, que je trouve intéressant. La deuxième raison, c’est que mes parents ont des personnalités très caractérisées, avec ce panache et cette verve si singulière. Ils sont comme ça dans la vraie vie, aussi insupportables que touchant, et pour moi cela permet de rendre ces personnages attachants malgré tout ; je tenais à mettre en valeur leurs côtés fantasques et leurs blessures. Tout ça donnait du relief à ces personnages allégoriques : le père militaire, qui illustre parfaitement la violence patriarcale et le poids des injonctions virilistes qui pèsent sur les hommes ; et la mère au foyer, elle, illustre parfaitement la soumission des femmes qui ont intégré le patriarcat et en sont prisonnières. En revanche, pour aller à l’encontre de ce qu’on connaît ou de ce qu’on imagine d’un violeur et d’une victime, j’ai dessiné le couple frère-sœur d’une manière peut-être plus inattendue. La violence intra-familiale peut prendre mille visages et mille chemins différents, mais la plupart du temps, elle se déguise sous une sorte de « tendresse », de « complicité », de « jeux ». C’est en cela que la zone est éminemment grise, surtout entre frères, soeurs, cousin.e.s, d’âges proches. Dans le film, le personnage du frère est un peu plus âgé, mais n’est pas dominant ; il a un profil anxieux, est complètement écrasé par le père et surcouvé par sa mère. Sa seule manière d’exister et de prendre sa place, c’est dans les yeux de sa sœur et, en quelque sorte, dans son intimité. Cassandre, elle, est élevée comme une petite guerrière par son père et c’est ce qui fait qu’elle a une réaction combative à la fin. Mais Cassandre et son frère Philippe sont les victimes collatérales d’un système, en réalité.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de condamner mais d’observer pour comprendre les mécanismes, et donner aux personnages de la famille l’empathie qu’ils n’ont pas reçue et qu’ils sont incapables de se donner entre eux. J’ai une profonde affection pour tous les personnages. Sur cette question de l’empathie, les animaux m’ont beaucoup apporté ; l’accueil inconditionnel qu’ils nous offrent est puissant. Les chevaux ont gardé une place importante dans ma vie, j’avais envie de leur rendre hommage et que Cassandre trouve réparation à leurs côtés, comme moi je l’ai trouvée.