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Je le jure


À quarante ans, Fabio se laisse porter par le courant. Un peu largué, il trouve du réconfort dans l’alcool. Et un peu auprès de Marie, de vingt ans son aînée, avec qui il entretient une relation secrète. Un jour, il reçoit une convocation pour être juré d’assises, il va devoir juger un jeune pyromane accusé d’homicide involontaire.

Entretien avec Samel Theis

Je le jure est un film dense et multiple. D’où est initialement parti votre désir de cinéma ?

C’est mon troisième film, le dernier d’une trilogie qui traverse une même géographie : la Moselle. Un territoire où cohabitent les strates d’un passé industriel glorieux et d’un présent marqué par l’effritement social. Dès Party Girl (2014), j’ai voulu filmer un milieu social que j’estime sous-représenté dans le cinéma français. Non pas via desquestions purement  matérielles, comme c’est trop souvent le cas, mais au contraire via des questions qui confrontent mes personnages à des institutions symboliques : le mariage dans Party Girl, l’éducation dans Petite nature (2022), et ici la justice. Je me suis donc attaqué au film de procès, un genre en soi, tout en cherchant à éviter les mécanismes narratifs conventionnels propres à ce genre, en déplaçant son centre de gravité. J’ai d’emblée écarté l’idée du suspense autour de la culpabilité, pour m’intéresser à la question plus subtile de la peine. C’est quoi une peine juste ? J’ai voulu m’éloigner de l’aspect spectaculaire pour filmer la justice en creux plutôt. La filmer en retrait. Trouver l’esthétique dans l’éthique du projet : chercher l’image juste. Il n’existe presque pas de films depuis le regard d’un juré, si ce n’est dans 12 hommes en colère (1957) ou la série American Crime Story (2016) sur O.J. Simpson. Ou cette année, le dernier film de Clint Eastwood, Juré n°2. Il s’agissait ici de prendre le cadre judiciaire, lieu d’un pouvoir écrasant, pour raconter comment l’acte de juger – ou simplement d’écouter un récit – nous confronte à nos propres aveuglements, nos propres contradictions. À travers les yeux d’un personnage qui a tendance à fuir le regard des autres et la société.

Qu’est-ce qui a guidé ce désir de filmer un couple avec une grande différence d’âge ?

Au départ, je me suis beaucoup inspiré de mon frère pour écrire Fabio. Je me suis demandé : « Pour qui l’expérience d’un jury d’assises serait-elle la plus douloureuse ? » Et j’ai pensé à lui, un garçon taiseux et timide qui a toujours vécu dans une forme de repli social. La parole est pour lui un vertige, or une cour d’assises est tout entière dévolue à la parole. Il se trouve que mon frère vit une histoire d’amour avec une femme plus âgée ; une histoire qu’il a mis du temps à assumer. C’est le cas aujourd’hui et je trouve son couple très romanesque, car il inverse le tabou social de la différence d’âge. Dans le film, cette différence d’âge interroge des dynamiques d’amour et de pouvoir qui échappent aux normes. Fabio, taiseux et fragile, incarne une masculinité en décalage : celle d’un homme en retrait, écrasé par des attentes qu’il ne peut ou ne veut pas combler. Son histoire avec Marie est une forme de révolte discrète, un amour qui défie les injonctions sociales en inversant les rôles attendus.

La manière dont s’exprime l’accusé n’est jamais conforme à ce qu’exigerait un tribunal.

Pour l’écriture des scènes judiciaires, j’ai coécrit pendant deux ans avec une avocate pénaliste, Marie Dosé, dont j’avais beaucoup aimé les livres. Ça a été un travail d’enquête passionnant sur le fonctionnement de la justice française. Elle m’a permis d’assister à des procès, et de rencontrer des magistrats. J’ai pu voir à quel point les accusés sont dans une place impossible à tenir. Un accusé est toujours frustrant ; c’est un personnage qui déçoit forcément, on attend trop d’un accusé dans le box, il ne comblera jamais les espoirs ou les attentes qu’on a placés en lui. C’est le cas dans le film : on aimerait recevoir sa résilience, se rassurer sur sa prise de conscience, mais rien de tout cela n’arrive. Sa seule liberté en tant qu’accusé est celle de nous échapper. Il y a des mystères qu’on ne peut pas résoudre. 

Drame, Judiciaire de Samuel Theis. 3.5 étoiles AlloCiné.

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