En 2006, plusieurs dirigeants d’EADS sont soupçonnés d’avoir vendu leurs actions juste avant l’annonce des retards de l’A380, évitant ainsi des pertes colossales. Tandis que la Caisse des dépôts encaissait une lourde moins-value, eux réalisaient des millions de plus-values. Après dix ans d’enquêtes, l’affaire se termine sans condamnation, symbole d’un capitalisme d’initiés.
Un double volet financier
L’affaire EADS, qui a éclaté en 2006, se structure autour de deux volets majeurs.
Le premier concerne des soupçons de délit d’initié visant plusieurs hauts dirigeants d’Airbus et de sa maison mère EADS. Ceux-ci sont accusés d’avoir exercé leurs stock-options et revendu massivement des titres en novembre 2005 et mars 2006, juste avant l’annonce officielle, le 13 juin 2006, de nouveaux retards dans la livraison du très gros porteur A380. L’annonce avait alors provoqué une chute spectaculaire du titre EADS, de plus de 36 % en une seule séance.
Le second volet porte sur la cession de 7,5 % du capital d’EADS par DaimlerChrysler et le groupe Lagardère, le 4 avril 2006. Les titres avaient été repris par des investisseurs institutionnels français, dont la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Mais quelques mois plus tard, ces acheteurs se retrouvaient avec une lourde moins-value latente, à la suite de l’effondrement du cours.
En novembre 2006, une information judiciaire est ouverte contre X pour « délit d’initié, recel et diffusion d’informations trompeuses ». Les juges d’instruction Philippe Courroye et Xavière Simeoni doivent déterminer si Noël Forgeard, alors coprésident exécutif d’EADS, et d’autres cadres dirigeants ont exploité des informations confidentielles sur l’A380 pour revendre leurs actions au meilleur moment.
Les investigations s’appuient sur plusieurs éléments troublants. Selon La Tribune, les dirigeants étaient informés dès le 6 mars 2006 des difficultés du programme. Des enregistrements ultérieurs d’Alain Garcia, directeur technique d’Airbus, évoquent même des « problèmes industriels graves » connus au sein du conseil d’administration.
En parallèle, l’Autorité des marchés financiers (AMF) mène ses propres investigations sur l’exercice des stock-options en 2005 et 2006 ainsi que sur la cession massive de titres par Daimler et Lagardère. Son rapport intermédiaire de 2007 s’avère accablant : il met en avant des ventes organisées au plus haut du cours, quelques semaines seulement avant la révélation des retards.
Le 25 octobre 2007, Arnaud Lagardère est auditionné par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Le patron du groupe Lagardère nie toute connaissance préalable des difficultés industrielles de l’A380 au moment de la cession. Mais la suspicion d’un « sacrifice » de la CDC et d’autres investisseurs institutionnels pour préserver les intérêts des grands actionnaires reste au cœur des débats politiques.
Les révélations montrent que de nombreux cadres d’EADS ont procédé à des ventes spectaculaires au printemps 2006 :
- Noël Forgeard, coprésident exécutif d’EADS : 162 000 titres revendus, pour une plus-value de 2,5 millions d’euros. Ses enfants auraient également vendu 127 998 titres, générant 4,2 millions d’euros de bénéfices.
- François Auque, directeur d’EADS Space : 114 000 € de plus-value.
- Jean-Paul Gut, directeur général délégué : 737 000 € de bénéfices.
- Jussi Itavuori, DRH d’EADS : 1,2 million €.
- Olivier Andriès, vice-président d’Airbus : 389 000 €.
- John Leahy, directeur commercial d’Airbus : soupçonné d’avoir dégagé 3,12 millions €.
- Gustav Humbert, ex-PDG d’Airbus : 1,68 million €.
- Thomas Enders, futur patron d’Airbus : 711 000 €.
De leur côté, Daimler et Lagardère réalisent une cession de 7,5 % du capital, chacun pour environ 2 milliards d’euros. Officiellement, ces opérations relèvent d’une simple stratégie financière. Mais elles apparaissent, a posteriori, comme opportunément réalisées avant la débâcle boursière.
EADS est un acteur clé de l’industrie aéronautique et militaire européenne, symbole de la coopération franco-allemande. Les opérations financières suspectes prennent donc une dimension politique.
En France, plusieurs responsables politiques accusent les grands actionnaires d’avoir privilégié leurs intérêts au détriment de la Caisse des dépôts, établissement public de référence. D’autres, notamment la majorité UMP au pouvoir en 2006, affirment que l’État n’avait pas connaissance des difficultés de l’A380 ni des ventes d’actions massives.
L’Allemagne, également impliquée en tant qu’actionnaire étatique, surveille de près l’évolution du dossier.
- 2005 : premiers retards annoncés sur l’A380 ; premières ventes suspectes.
- Mars 2006 : Noël Forgeard exerce ses stock-options et revend ses titres. L’action EADS atteint son sommet à 35 €.
- Avril 2006 : Daimler et Lagardère cèdent 7,5 % du capital chacun. La CDC et d’autres investisseurs institutionnels reprennent les titres.
- 13 juin 2006 : Airbus annonce officiellement de nouveaux retards de livraison. Le titre plonge de 26 %, entraînant une moins-value de 200 millions pour la CDC.
- Juin-juillet 2006 : ouverture des premières enquêtes, démissions de Forgeard et d’autres dirigeants.
- 2007-2008 : plusieurs cadres sont mis en examen pour délit d’initié.
- 2009 : l’AMF blanchit les dirigeants et referme le dossier.
- 2013-2014 : la justice rouvre le dossier, renvoie sept anciens dirigeants ainsi que Lagardère et Daimler devant le tribunal correctionnel.
- 2015 : le Conseil constitutionnel met un terme aux poursuites, au nom du principe du « non bis in idem » (impossibilité de juger deux fois pour les mêmes faits).
Au terme de près de dix ans de procédures, l’affaire EADS s’achève en mai 2015 par l’extinction de l’action publique. Les dirigeants mis en cause, déjà blanchis par l’AMF en 2009, échappent définitivement à toute condamnation.
Cette conclusion, largement critiquée par les associations d’actionnaires minoritaires, illustre les zones d’ombre du droit boursier français et la difficulté de sanctionner des pratiques financières jugées douteuses mais réalisées dans un cadre juridique flou.
Si l’affaire n’a débouché sur aucune condamnation, elle a profondément marqué la gouvernance des grandes entreprises françaises. EADS – rebaptisé Airbus Group – a depuis revu ses pratiques en matière de rémunération variable, abandonnant notamment l’usage massif des stock-options pour ses dirigeants.
Mais l’épisode reste dans les mémoires comme l’un des plus grands scandales boursiers européens du début du XXIe siècle, symbole d’un capitalisme d’initiés où les actionnaires institutionnels et les petits porteurs apparaissent comme les grands perdants.
Photo : Expect Best - Pexels. Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici.
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