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Thomas Midgley Jr. : l’inventeur qui a empoisonné le monde sans le vouloir


Génie de l’ingénierie du XXe siècle, Thomas Midgley Jr. est l’homme derrière deux « miracles » technologiques : l’essence plombée et les CFC. Louées à leur époque, ses inventions ont fini par empoisonner l’air, détruire la couche d’ozone et mettre en danger la santé de millions de personnes. Considéré comme un pionnier visionnaire de son vivant, il est aujourd’hui vu comme l’un des inventeurs les plus destructeurs de l’histoire.

Présentation

Thomas Midgley Jr. (1889-1944) fut un ingénieur et chimiste américain dont les inventions ont profondément marqué le XXe siècle. Formé à la mécanique mais passionné de chimie, il est l’un des principaux artisans de l’industrialisation de deux substances devenues tristement célèbres : le plomb tétraéthyle, additif de l’essence destiné à réduire le cliquetis des moteurs, et les chlorofluorocarbures (CFC), longtemps utilisés comme réfrigérants et propulseurs d’aérosols.

Applaudi de son vivant comme un génie de l’innovation et récompensé par de nombreux prix scientifiques, Midgley est aujourd’hui perçu comme l’un des inventeurs ayant causé les plus grands dégâts environnementaux et sanitaires de l’histoire humaine.

Biographie

Enfance et formation

Thomas Midgley Jr. naît en 1889 à Beaver Falls, en Pennsylvanie. Son père, inventeur dans le domaine automobile, et son grand-père maternel, créateur d’une scie brevetée, lui transmettent le goût de l’ingéniosité. L’enfant grandit dans un environnement marqué par la créativité et l’expérimentation technique.

À l’adolescence, il développe une fascination pour la classification périodique des éléments, qui ne le quittera plus. En 1905, il intègre la Betts Academy puis l’Université Cornell (État de New York), où il étudie la mécanique. Diplômé en 1911, il entame sa carrière d’ingénieur.

Premiers emplois et orientation vers la chimie

Midgley débute à la National Cash Register Company, où il conçoit des prototypes de machines. Rapidement, il rejoint son père dans le domaine du pneu, mais l’entreprise familiale échoue. Il s’oriente alors vers l’automobile et met au point un hydromètre permettant de tester l’antigel des radiateurs.

En 1916, sa carrière prend un tournant décisif : il est recruté par Charles F. Kettering, fondateur de Delco (Dayton Engineering Laboratories Company). Ce dernier devient son mentor et l’introduit dans la recherche appliquée aux moteurs.

La Première Guerre mondiale

Pendant la guerre, Midgley travaille pour Delco sur des projets militaires : mise au point d’une torpille volante et recherche de carburants pour avions. Ses travaux le conduisent à comprendre que le problème du cliquetis moteur n’est pas seulement mécanique, mais chimique. C’est le début de ses recherches sur les additifs antidétonants.

Les grandes inventions

L’essence plombée

Au début des années 1920, General Motors cherche une solution au cliquetis des moteurs. Midgley teste une large gamme de produits chimiques avant de découvrir que le plomb tétraéthyle supprime efficacement le phénomène. Le brevet est déposé en 1922 et la société Ethyl Gasoline Corporation est créée avec Exxon pour exploiter ce nouvel additif.

Le plomb tétraéthyle est présenté comme une avancée majeure : il permet des moteurs plus puissants, plus économes et moins polluants en monoxyde de carbone. Mais très vite, des ouvriers employés à la production tombent malades ou meurent, victimes d’intoxication au plomb. Midgley lui-même est hospitalisé après une intoxication, mais minimise publiquement les risques.

Lors d’une conférence de presse, il inhale volontairement des vapeurs d’essence plombée pour prouver son innocuité. Cette mise en scène contribue à rassurer l’opinion, mais les conséquences seront terribles : pendant des décennies, des milliards de litres d’essence plombée polluent l’air et intoxiquent des générations entières.

Les CFC

À la fin des années 1920, Midgley se penche sur un autre problème : les réfrigérants, alors hautement inflammables ou toxiques. En 1928, il met au point un nouveau gaz, le dichlorodifluorométhane (CFC-12), vite perçu comme miraculeux : stable, non inflammable et apparemment inoffensif.

Les CFC se répandent dans le monde entier, utilisés dans les réfrigérateurs, les climatiseurs et les aérosols. Pour prouver leur sécurité, Midgley fait une démonstration publique en en inhalant avant d’éteindre une flamme en expirant le gaz.

Mais, des décennies plus tard, on découvrira que ces substances détruisent la couche d’ozone et contribuent massivement au réchauffement climatique.

Fin de vie et décès

Atteint de poliomyélite en 1940, Midgley conçoit un système de câbles et de poulies pour se déplacer plus facilement. Le 2 novembre 1944, il est retrouvé mort, étranglé par son propre dispositif. Il avait 55 ans. À cette époque, il était encore convaincu que ses découvertes représentaient un bienfait pour l’humanité.

Postérité et héritage

Durant sa carrière, Midgley a reçu de prestigieuses distinctions, dont la médaille Priestley et le prix Willard Gibbs, et fut élu membre de l’Académie nationale des sciences américaine. Admiré comme un génie inventif, il laisse derrière lui plus de 170 brevets.

Cependant, son image a radicalement changé. Ses deux principales inventions – l’essence plombée et les CFC – sont désormais considérées comme des catastrophes planétaires. Le plomb a contaminé durablement l’air, les sols et les populations humaines, tandis que les CFC ont gravement endommagé la couche d’ozone.

L’historien John R. McNeill a résumé ce paradoxe en écrivant que Midgley « a eu plus d’impact sur l’atmosphère que tout autre être vivant dans l’histoire ». Aujourd’hui, son parcours sert de cas d’école en éthique scientifique et en responsabilité environnementale.

Texte et photo sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici.

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