Marseille en plein été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu’on baise et celles qu’on épouse. Le retour de Carmen, amie d’enfance ex-prostituée, bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour.
Entretien avec Prïncia Car, réalisatrice, Léna Mardi, scénariste, et Johanna Nahon, productrice
Prïncia Car : J’ai rencontré des centaines de jeunes, mais ceux-là, c’est vraiment le canal historique – le groupe avec lequel je travaille depuis le début. Ça fait huit ans qu’on fait du théâtre ensemble, huit ans qu’on échange, on a appris à se faire confi ance, et je m’autorise à tirer, en eux, des ficelles très intimes : je sais avec qui je peux parler de quoi. Dans les dialogues, ils sont très libres de leurs mots, mais je les dirige à l’émotion près. Et je sais que, dans le jeu, ils s’autorisent à être autre chose qu’eux-mêmes. Et ils y prennent un réel plaisir : dès notre premier film ensemble, Barcelona, ils se sont rendu compte qu’être acteur, c’était être qui on voulait. Depuis, ils se sont professionnalisés, mais ils ont gardé cette envie, et cette possibilité de se réinventer.
Léna Mardi : Moi, je n’avais jamais vu ça, des acteurs qui n’ont jamais joué de leur vie et qui sont capables de saisir aussi vite tous les enjeux d’une scène, et d’inventer encore de nouvelles blagues, de nouvelles punchlines, même après vingt prises… On a fini par écrire un scénario, mais, sur le tournage, on a volontairement gardé des zones de liberté. Ils sont hyper malins. Ils ont une créativité de dingue, et un amour du langage sans limites : avec eux, les impros peuvent durer quatre heures, et ils nous surprennent encore, et ils se font marrer entre eux… En dehors du plateau, ils ont parfois des vies compliquées. Leur force , et même, leur moyen de survie, c’est la tchatche. Et ils s’en servent incroyablement bien.
Johanna Nahon : Ça n’est jamais simple, de financer un film avec des inconnus, non professionnels qui plus est. Mais on y est arrivées… Et c’était vertigineux. Il n’y a pas un jour où je n’ai pas eu peur que tout se casse la gueule. Pendant quatre ans, on a douté tous les jours de tout. Mais quand on travaille avec ses plus proches amies, on peut s’appeler n’importe quand, et même en pleine nuit, pour se le dire, et pour se soutenir. Ca, ça change tout.
Johanna Nahon : On avait vingt-cinq jours de tournage, et un budget pas illimité, donc c’était intense… Mais joyeux. Le plan de travail prévoyait de commencer à la mi-journée et de terminer tard dans la nuit, et ça, c’est épuisant. Surtout qu’avec la capacité d’improvisation des comédiens, on débordait toujours largement… Dès le deuxième jour, on était en heure sup’. Mais on s’adapte, et on réécrit, et on tourne à nouveau : c’est comme ça qu’on arrive à choper le naturel des acteurs, et la force de leur personnage. Souvent, sur un tournage, se produisent des choses qui te dépassent. Il faut savoir les attraper.
Léna Mardi : Tout est tourné en décor naturel, in situ. Prïncia ne voulait pas de quatrième mur, et le chef opérateur pouvait filmer à 360°, pour être au plus près du réel. Le centre, c’est vraiment le centre. L’appartement d’Omar donne vraiment au-dessus. Et à côté, il y a vraiment un snack… On tournait dans la rue, les gens passaient, on discutait avec eux, et, au fil des semaines, un quotidien de quartier s’est installé : ça, ça a profondément nourri le film. Évidemment, comme on maîtrise moins, il y a des ratés – et il y a eu beaucoup de montage, mais c’est ce qui permet cette justesse, cette vérité qu’on cherchait.
Prïncia Car : C’est drôle comme, le premier jour, tout était à la fois extraordinaire et habituel. On hallucinait de voir la taille de l’équipe, on se disait « on y est, on l’a fait », on en revenait pas. En même temps, travailler ensemble, on savait faire, et ça, c’était très rassurant. Ça a permis au tournage d’être fluide. Et joyeux. Moi, j’en ai aimé chaque instant. Les jeunes étaient exceptionnels, pros, hyper ponctuels, et surtout heureux d’être là. Ils le disaient tous les jours, et l’équipe en était stupéfaite. Moi, ça m’a donné un cap : garder la joie de la création, même quand c’est dur, même quand il y a des scènes qu’on ne rentre pas. Parce que c’est une chance de faire ce métier-là.
Drame de Prïncia Car. 3,5 étoiles AlloCiné.