Un tiers invoquant, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un préjudice peut se voir opposer les conditions et les limites de responsabilité prévues entre les parties au contrat.
Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2021), la société Aetna Group Spa, spécialisée dans la production de machines fabriquant des emballages, a fait transporter plusieurs machines d'Italie en France en vue de leur exposition dans un salon professionnel à Paris. Par contrat passé en novembre 2014, la société Aetna Group France a confié à la société Clamageran expositions (la société Clamageran) la manutention et le déchargement de ces machines à l'issue de leur transport. L'une d'elles ayant été endommagée alors qu'elle était manipulée par un employé de la société Clamageran, la société Aetna Group Spa a obtenu une indemnité de son assureur, la société Itas Mutua Istituto Trentino Alto Adige per Assicurazioni Societa Mutua di Assicurazioni (la société Itas Mutua). Subrogée dans les droits de son assurée, la société Itas Mutua a assigné la société Clamageran en paiement de dommages et intérêts.
La société Clamageran a relevé appel du jugement ayant accueilli cette demande. L'affaire a été débattue à l'audience devant la cour d'appel le 25 juin 2020.
Par message transmis par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA) du 10 décembre 2020, les parties ont été invitées par la cour d'appel à présenter leurs observations sur la nature délictuelle et non contractuelle de l'action exercée à l'encontre de la société Clamageran en l'absence de rapport contractuel entre la société Aetna Group Spa et la société Clamageran.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
La deuxième chambre civile a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents Mme Martinel, présidente, Mme Jollec, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre.
La société Clamageran fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt ou de qualité à agir de la société Itas Mutua, de condamner la société Clamageran à payer à la société Itas Mutua la somme de 100 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016, avec anatocisme à compter du 11 avril 2016, et de déclarer la société Clamageran responsable à l'égard de la société Aetna Group Spa, sur le fondement délictuel, des dommages résultant de la faute contractuelle commise dans l'exécution du contrat de prestation de service conclu avec la société Aetna Group France, alors « que la cour d'appel ne peut modifier le fondement juridique des prétentions des parties sans rouvrir les débats ; qu'en substituant un fondement délictuel à l'action en responsabilité contractuelle exercée par la société Itas Mutuas contre la société Clamageran, pour en déduire l'inopposabilité des clauses limitatives de responsabilité invoquées par cette dernière, la cour d'appel, qui n'a pas rouvert les débats mais a seulement invité les parties à présenter une note en délibéré sur ce point, a violé les articles 12, 16, 442, 444 et 954 du code de procédure civile. »
Lorsqu'il envisage de relever d'office un moyen et invite les parties à présenter leurs observations dans une note en délibéré, le juge n'est pas tenu d'ordonner la réouverture des débats.
Ayant relevé d'office un nouveau fondement juridique à l'action engagée par l'assureur au cours du délibéré et invité, par message RPVA, les parties à déposer sur ce point une note en délibéré, l'arrêt constate que les sociétés Itas Mutua et Clamageran ont respectivement déposé une note en délibéré les 14 décembre et 17 décembre 2020.
Il en résulte que les parties ont été mises en mesure de s'expliquer contradictoirement sur le moyen relevé d'office par la cour d'appel, sans que celle-ci soit tenue d'ordonner la réouverture des débats.
Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa sixième branche.
La société Clamageran fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsqu'un tiers invoque sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle l'inexécution d'une obligation contractuelle, les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les cocontractants lui sont opposables ; qu'en déclarant en l'espèce les clauses limitatives de responsabilité inopposables à la société Aetna Group Spa, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil. »
Vu les articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1382, devenu 1240, du même code :
La Cour de cassation juge que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n° 9) et que s'il établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu'il subit, il n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963, publié au bulletin).
Pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s'est engagé en considération de l'économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants.
Pour condamner la société Clamageran à payer la somme de 100 000 euros à la société Itas Mutua, l'arrêt, après avoir énoncé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, retient que les clauses limitatives de responsabilité issues des conditions générales du contrat conclu entre la société Clamageran et la société Aetna Group France sont inopposables à la société Itas Mutua, subrogée dans les droits de la société Aetna Group Spa.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Casse et annule, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il fixe à 100 000 euros le montant des dommages et intérêts que la société Clamageran expositions est condamnée à payer à la société Itas Mutua Istituto Trentino Alto Adige per Assicurazioni Societa Mutua di Assicurazioni, majorée des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016, avec anatocisme, l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Itas Mutua Istituto Trentino Alto Adige per Assicurazioni Societa Mutua di Assicurazioni aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Itas Mutua Istituto Trentino Alto Adige per Assicurazioni Societa Mutua di Assicurazioni et la condamne à payer à la société Clamageran expositions la somme de 3 000 euros;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille vingt-quatre et signé par le président, le conseiller référendaire rapporteur et Mme Pontonnier, greffier de chambre présent lors du prononcé, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.
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