En 2023, Uber France a été condamnée pour concurrence déloyale en lien avec son service UberPop. Elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité concernant l'évaluation des dommages fondée sur l'avantage indu obtenu par ces pratiques.
1. De février 2014 à juillet 2015, la société Uber France a lancé, sous le nom d’ « UberPop », un service consistant, grâce à une application mobile, à mettre en relation des particuliers entre eux, les uns, conducteurs, détenant un véhicule et les autres souhaitant être transportés.
2. Soutenant que cette application avait été lancée en violation des règles applicables au secteur réglementé du transport de particuliers à titre onéreux, des chauffeurs de taxi ont assigné la société Uber France aux fins d’engager sa responsabilité civile pour concurrence déloyale et obtenir la réparation de leur préjudice économique et moral.
3. Par arrêt du 4 octobre 2023, la cour d’appel de Paris a condamné la société Uber France à payer diverses sommes à ces chauffeurs de taxis à titre de dommages et intérêts.
4. A l’occasion du pourvoi qu’elle a formé contre cet arrêt, la société Uber France a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions, identiquement rédigées, de l’article 1382 du code civil, dans sa version issue de la loi de promulgation du code civil du 17 mars 1803, et de l’article 1240 du même code, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui, selon l’interprétation qu’en donne la Cour de cassation depuis un arrêt « Cristal de Paris » du 12 février 2020 (n° 17-31.614), permettent de déterminer les dommages-intérêts « en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes » lorsque le fait dommageable résulte de « pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu », sont-elles conformes aux principes de légalité et de nécessité des délits et de peine garantis par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ?
A titre subsidiaire, pour le cas où la nature de sanction présentant le caractère d’une punition serait déniée aux dommages-intérêts déterminés de la sorte, méconnaissent-elles le principe de responsabilité qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 et le droit de propriété garanti par son article 2 ? »
5. L’article 1382, devenu 1240, du code civil est applicable au litige.
6. Cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
7. Cependant, d’une part, les questions posées, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
8. D’autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.
9. En effet, en premier lieu, l’interprétation jurisprudentielle conférée à l’article 1382, devenu 1240, du code civil dans l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 12 février 2020 (pourvoi n° 17-31.614, publié au Bulletin), permet de déterminer les dommages et intérêts « en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes », lorsque le fait dommageable résulte de « pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu ». Cette interprétation jurisprudentielle, qui ne peut avoir pour effet d’aboutir à une évaluation des dommages et intérêts qui excéderait cet avantage indu, n’instaure pas une sanction ayant le caractère d’une punition mais vise exclusivement à assurer la réparation du préjudice subi par la victime de ces actes, de sorte que les griefs tirés de la violation des principes de légalité et de nécessité des délits et des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sont inopérants.
10. En deuxième lieu, l’interprétation jurisprudentielle précédemment rappelée, qui permet seulement que le montant des dommages et intérêts dus à la victime des actes de concurrence déloyale ou parasitaire soit évalué en prenant en considération, pour déterminer l’importance du préjudice causé par ces actes, l’avantage indu que leur auteur s’est octroyé, est justifiée par l’objectif d’intérêt général d’indemnisation effective des victimes d’actes de concurrence déloyale ou parasitaire lorsqu’elles se heurtent à des difficultés de preuve de leur préjudice et l’atteinte portée au droit de propriété de l’auteur de ces actes, garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est proportionnée à cet objectif.
11. En troisième lieu, s’il résulte de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’en principe, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et si la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle, l’interprétation jurisprudentielle précitée ne porte aucune atteinte au principe de responsabilité, en ce qu’elle assure au contraire la réparation, par l’auteur d’actes de concurrence déloyale ou parasitaire, des conséquences dommageables de ses fautes.
12. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille vingt-quatre.
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