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Harcèlement moral : la prescription est de 5 ans


M. [F], chauffeur chez Servair, a déclaré un harcèlement moral en 2016 puis a été licencié en 2017. Estimant son licenciement lié à cette dénonciation, il a saisi les prud'hommes puis la Cour d'appel. Cette dernière a rejeté sa demande pour cause de prescription annale mais la Cour de cassation a rappelé que l'action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par cinq ans lorsqu'elle est fondée sur le harcèlement moral.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 6 octobre 2022), M. [F] a été engagé en qualité de chauffeur handling par la société Compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens - Servair, selon contrat à durée indéterminée du 26 octobre 1998. Le 8 septembre 2016, il a adressé un courrier à son employeur, pour dénoncer des faits de harcèlement moral commis à son encontre depuis 2012. Après avoir fait procéder à une enquête relative aux faits de harcèlement moral dénoncés, l'employeur a, par une lettre du 22 septembre 2017, convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, puis l'a licencié, selon une lettre du 18 octobre 2017, pour cause réelle et sérieuse.

2. Le 29 janvier 2020, soutenant avoir été licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour faire constater la nullité de son licenciement et demander sa réintégration ainsi que le paiement de ses salaires depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration et l'octroi de diverses sommes indemnitaires.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables comme prescrites, alors « que se prescrit par cinq ans l'action en nullité du licenciement que le salarié fonde sur la dénonciation de faits de harcèlement, dont il soutient qu'elle a été le véritable motif de la rupture ; que la cour d'appel a jugé irrecevable comme prescrite l'action en nullité du licenciement du salarié, au motif qu'il résultait de la lettre de licenciement que celui-ci avait "été prononcé pour refus d'accomplir les tâches qui lui étaient confiées, insubordination et comportement agressif mais pas, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, pour dénonciation d'un harcèlement moral, le simple rappel, dans les quatrième et cinquième paragraphes de la lettre de licenciement, du fait que M. [F] avait informé son employeur de ce qu'il estimait être victime de faits constitutifs d'un harcèlement moral n'érigeant pas cette circonstance en grief invoqué par la société pour justifier le licenciement de M. [F]" et "qu'il sui(vait) de là que ce licenciement n'était pas fondé sur la dénonciation d'un harcèlement moral en sorte que M. [F] disposait d'un délai de douze mois pour contester son licenciement" ; qu'en ne tenant compte que des fautes reprochés par l'employeur au salarié dans la lettre de licenciement pour justifier la rupture, lorsque M. [F] prétendait que son motif réel résidait dans le fait qu'il avait dénoncé le harcèlement dont il était victime, ce qui soumettait à la prescription quinquennale de droit commun l'action en nullité du licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-3, L. 1471-1, alinéa 3, du code du travail, ensemble l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1471-1, L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail et 2224 du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. Cette disposition n'est toutefois pas applicable aux actions exercées en application de l'article L. 1152-1 de ce code.

5. Aux termes du deuxième, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

6. Aux termes du troisième, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

7. Aux termes du quatrième de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. Il résulte de ces dispositions que l'action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par cinq ans lorsqu'elle est fondée sur le harcèlement moral.

9. Pour déclarer irrecevables les demandes du salarié, l'arrêt retient que le licenciement a été prononcé pour refus du salarié d'accomplir les tâches qui lui étaient confiées, insubordination et comportement agressif, mais pas pour dénonciation d'un harcèlement moral, le simple rappel, dans les quatrième et cinquième paragraphes de la lettre de licenciement, du fait que le salarié avait informé son employeur de ce qu'il estimait être victime de faits constitutifs d'un harcèlement moral n'érigeant pas cette circonstance en grief invoqué par la société pour justifier le licenciement. Il en déduit que le salarié disposait d'un délai de douze mois pour contester son licenciement prononcé le 18 octobre 2017, en sorte qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes par requête enregistrée le 29 janvier 2020, son action est prescrite.

10. En statuant ainsi, alors que l'action du salarié en nullité du licenciement était fondée sur la dénonciation du harcèlement moral allégué, ce dont il résultait qu'elle était soumise à la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée ;

Condamne la société Compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens - Servair aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnie d'exploitation des services auxiliaires aériens - Servair et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.

 

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