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Vivants


Gabrielle, 30 ans, doit très vite trouver sa place au sein d’une équipe de grands reporters. Habités par leur passion pour la recherche de la vérité, leur sens de l’humour et de la solidarité, ils vont tout tenter pour retrouver la foi de leurs débuts et se réinventer.

Entretien avec la réalisatrice,  Alix Delaporte.

Pourquoi mettre en lumière le grand reportage ?

Je ne peux pas prendre la parole sur des sujets d’actualité, ça n’est ni dans mes compétences, ni dans ma fonction. En revanche je peux interroger le spectateur sur la nécessité de préserver la fonction du journaliste, à savoir la recherche de la vérité. Et pour l’obtenir, il faut aller sur le terrain et parfois se mettre en danger. Pour limiter ces risques, il faut avoir du temps. Pour paraphraser le grand reporter Florian Le Moal : « plus on reste, plus on connait les gens. Plus ils nous connaissent et plus on peut s’approcher d’une certaine vérité ». Aujourd’hui, c’est ce temps-là qui est remis en question. En préparant le film, je suis allée à la rencontre de beaucoup de journalistes, jeunes ou moins jeunes, des chaînes d’infos, d’émission de reportages. Je suis allée voir dans les écoles qui étaient les nouveaux arrivants… Qui fera l’info de demain? Quelles sont leurs ambitions ? Au final, j’ai constaté que cette passion pour la recherche de la vérité était toujours là. Le métier n’est pas menacé par les journalistes, mais par les financiers qui prennent le pouvoir dans les rédactions et pour qui les reporters de terrain deviennent un luxe inutile. 

Pourquoi situer l’action dans une agence de presse ?

Je voulais un film choral. Une agence de presse audiovisuelle, c’est un lieu que je connais, un monde que je pouvais faire exister et faire découvrir. Entre les grands reporters et les journalistes qui font des contenus plus courts et plus immédiats, il y a des tensions. C’est un terrain de jeu propice à la dramaturgie et qui permet de s’attarder sur des personnages secondaires. Dans l’agence, les personnages secondaires, ce sont ces métiers qui soutiennent les journalistes, comme les monteurs ou le responsable du matériel. Tous ont un rôle essentiel dans ce collectif qu’est la rédaction. Ce lieu existait dans mes souvenirs et dans le scénario. Le chef décorateur Nicolas de Boiscullié l’a ensuite créé de toutes pièces, il l’a rendu vraisemblable et surtout il a réussi à lui donner une âme. C’est un appui de jeu phénoménal pour les acteurs et pour le film. 

D’où vient le titre Vivants ?

Dans le film, il y a une scène d’un reportage filmé à Sarajevo dans laquelle Damien (joué par Vincent Elbaz) suit des jeunes qui traversent une zone de combat pour aller en boîte de nuit. Pour moi, ça raconte cet élan de vie dans le marasme. Dans les zones de guerre, il y a une résilience incroyable, notamment chez les jeunes, qui pousse à toujours aller vers la vie. Il y a ça aussi chez les journalistes de Vivants, un désir de se débattre et de faire leur travail malgré un climat de plus en plus délétère pour leur profession. Il n’y a pas d’hypocrisie sur ce qui les anime. Comme le montre Damien, il ne s’agit pas uniquement de son engagement professionnel, il y a aussi une forme d’addiction à l’adrénaline que procurent les tournages dans des zones difficiles. C’est dans ces moments de peur et de confrontation exacerbée avec la mort que l’on se sent le plus vivant. 

On a l’impression d’une certaine forme de nostalgie…

Je montre la fin d’un monde, celui des grands reportages à l’international qui ont fait les belles heures de la télévision. Aujourd’hui les audiences sont en baisse et les responsables des chaînes sont de plus en plus tenus à des objectifs de rentabilité. Petit à petit, les jeunes journalistes finissent eux-mêmes par s’autocensurer. C’est dommage, mais ça ne me rend pas pessimiste. Quand le personnage de Vincent annonce l’arrêt de l’émission, il s’adresse aux plus jeunes et leur demande s’ils veulent vraiment s’accrocher à un programme qui a plus de 15 ans. « Inventez vos trucs »… À ce moment-là il est libéré d’un poids, celui de faire durer à tout prix cette émission prestigieuse, symbole d’une certaine intégrité. Par nostalgie justement.

Le générique d’ouverture du film est une succession de photos de reporters sur le terrain où se mêlent de vraies photos et des montages…

Je ne pouvais pas parler de la fin d’une époque sans montrer ce qu’elle avait été. C’est une manière de montrer la longue amitié des personnages mais aussi de les inscrire dans une réalité. J’avais besoin qu’on se dise que ça avait vraiment existé, qu’ils avaient couverts des conflits, qu’ils avaient voyagé. Sur certaines de ces photos, et notamment celles prise à Gaza, nous avons remplacé les visages de l’époque par ceux de nos comédiens plus jeunes. Elles viennent de la collection de Laurent Langlois, ingénieur du son chez Capa. Toutes ont été faites sur le terrain. Il n’a jamais cherché à faire de belles photos, il a fait des « photos de famille » comme il dit. 

Drame de Alix Delaporte. Propos reccueilli par Myriam Bruguière, Olivier Guigues et Thomas Percy. 3,1 étoiles Allociné.

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