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La fille de son père


Etienne a vingt ans à peine lorsqu'il tombe amoureux de Valérie, et guère plus lorsque naît leur fille Rosa. Le jour où Valérie les abandonne, Etienne choisit de ne pas en faire un drame. Etienne et Rosa se construisent une vie heureuse. Seize ans plus tard, alors que Rosa doit partir étudier et qu’il faut se séparer pour chacun vivre sa vie, le passé ressurgit.

 


Entretien avec le réalisateur Erwan Le Duc  

Comment est née cette histoire ?

Cela vient en première intention d‘un personnage de Perdrix, Juju, le frère de Pierre Perdrix, interprété par Nicolas Maury. Un père célibataire qui élevait une fille de 12 ans, entouré de sa famille. On suivait un peu leur histoire, et il y avait déjà cette question de la séparation entre eux, de l’enfant qui disait vouloir quitter son père mais sans l’abandonner. Ensuite, mon processus d’écriture, c’est de partir d’une idée, d’un thème un peu large, puis de nourrir le texte par fragments. J’ai l’habitude de prendre beaucoup de notes, il m’arrive d’écrire juste une scène, parfois quelques lignes de dialogues, parfois juste une image. Puis j’essaie de fabriquer l’histoire à partir de ce matériau épars. Le début de l’écriture du scénario date du premier confinement, en mars 2020. C’est aussi le moment où j’ai arrêté de travailler comme journaliste et où je me suis lancé complètement dans le métier de cinéaste. Le confinement a fait que j’ai passé beaucoup de temps en famille, notamment avec ma fille. Donc le point de départ, c’est de raconter une relation père-fille, une histoire d’amour inconditionnel entre un parent et son enfant. Et aussi l’empire et l’emprise que l’un peut avoir sur l’autre, et inversement.

À l’écriture, comment se sont développés ces personnages ?

Ils grandissent ensemble mais pas collés l’un à l’autre. Ils ont chacun leur vie, et une passion. Une passion qui leur donne à chacun un cadre. Littéralement pour Rosa, puisque son truc, c’est la peinture. J’avais envie de filmer ça, la peinture et l’acte de peindre. Assez tôt, j’ai cherché une jeune peintre de l’âge de Rosa. J’ai regardé aux Beaux-Arts de Paris le travail des étudiantes en première année qui avaient à peu près l’âge du personnage, et j’en ai contacté une, qui s’appelle Violette Malinvaud. On a utilisé ses peintures, on lui en a même commandé certaines. Son travail me plaisait, parce qu’il y avait un côté un peu brut, avec beaucoup de couleurs. Il portait une énergie qui montrait à la fois de la confiance dans ce qu’elle faisait et une grande fragilité. Et de l’humour, aussi. Je trouvais ça pertinent par rapport à Rosa, et d’autant plus intéressant que cela apportait une autre lecture du personnage, qui a plutôt l’apparence d’une jeune fille sage.

Une façon de jouer avec le regard du spectateur ?

Oui et cela ne passe pas que par le récit, mais aussi par la mise en scène, par le désir d’inventer d’autres manières de filmer. Surprendre le spectateur, mais aussi me surprendre moi, surprendre l’équipe, surprendre dans la manière de faire le film, de le fabriquer. Par exemple, il y a un plan de Rosa en train de dessiner dans le jardin. On est sur un plan large, sur pied, très simple. C’est bien, c’est comme prévu. Mais pendant qu’on le tourne, j’ai envie d’autre chose, et sans qu’on n’en ait discuté avant, je vais voir le chef opérateur Alexis Kavyrchine, je lui demande discrètement de prendre la caméra et de se rapprocher pour faire un plan serré, mais sans couper le plan. Sans une seconde de doute, et ça c’est formidable de sa part, Alexis attrape le pied, puis aidé par son chef machiniste, ils lèvent la caméra et la posent un peu au hasard devant Céleste Brunnquell, qui continue de jouer le jeu aussi. Ça devient une sorte de plan aléatoire, un plan serré assez beau en soi. Mais ce qui m’intéressait aussi, c’étaient les images entre les deux plans, les images du trajet de la caméra, donc au montage j’ai gardé une seconde avant que la caméra ne se stabilise. 

On a l’impression que les jeunes sont plus sérieux que les adultes. Il y a une volonté de parler des différences entre les générations ?

Qu‘ils soient plus sérieux, je le crois bien volontiers. Quant à savoir s’il s‘agit d‘un portrait réaliste de la jeunesse, il faudrait le demander aux jeunes acteurs. Il y a des traces de l’époque, la lutte contre le changement climatique, l’occupation du lycée par les étudiants, faire brûler des choses pour éveiller les consciences. Mais le personnage de Rosa est assez ambivalent par rapport à ça, elle est dans sa peinture, elle n’est pas tellement impliquée collectivement. J’avais justement envie de personnages sans grand rapport avec le monde extérieur, l’un dans la poésie, l’autre dans la peinture.

Tout au long du film, ses compositions sont très présentes. Quelle est la fonction de sa musique ?

Je souhaitais qu’elle soit lyrique, un peu dramatique, qu’elle assume ses envolées, ses ruptures de langage. Il ne fallait pas qu’elle accompagne l’image, mais qu’elle apporte une autre dimension. Par exemple, elle dramatise la scène où Étienne part pour Metz, pour aller visiter l’école des Beaux-Arts, un moment filmé assez simplement, sur lequel on a posé des violons très lyriques. Plus tard, dans les scènes à Nazaré, on a joué sur la sensation et la matière en ralentissant un thème du début…

Comédie dramatique de Erwan Le Duc. Propos reccueilli par Laurence Granec et Vanessa Frochen. 3,4 étoiles Allociné.

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