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La tête froide 


Dans les Alpes enneigées, en plein hiver. Pour boucler ses fins de mois, Marie, 45 ans, trafique des cartouches de cigarettes entre la France et l’Italie avec l’aide de son amant Alex, policier aux frontières. Lorsqu’elle rencontre Souleymane, jeune réfugié, prêt à tout pour rejoindre sa petite sœur, elle s’embarque dans un engrenage bien plus dangereux qu’elle ne l’avait imaginé.


Entretien avec le réalisateur, Stéphane Marchetti 

La tête froide explore la zone frontière qui sépare l’opportunisme de l’altruisme véritable. L’un de ses enjeux n’est-il pas de dessiner le tournant qui mène du premier au second ? 

Marie, au début du film, est tellement engluée dans ses propres problèmes qu’elle ne voit pas ceux des autres. Elle va d’abord voir dans sa rencontre avec Souleymane l’opportunité de se sortir de sa précarité, un « échange de bons procédés », comme elle dit. Comme cela se passe bien la première fois, elle renouvelle l’expérience. Et c’est là que l’engrenage commence : Marie est rattrapée par ses actions et va devoir faire face à ses responsabilités. Au contact de Souleymane, cet opportunisme va progressivement se muer en aide véritable, en geste altruiste. Ça ne fait pas de Marie une héroïne, elle ne devient pas une militante pro-migrants, mais c’est le début d’une prise de conscience, un changement de perception. Si, au début, elle ne perçoit pas les migrants pour ce qu’ils sont, à la fin son regard sur eux et sur elle-même a changé : elle voit plus clair. 

Le film interroge la notion de rencontre. Quelle est la nature de celle qui implique Marie et Souleymane ? 

C’est une rencontre véritable, dans le sens où elle va permettre à Marie d’évoluer, de passer d’un état à un autre, et à Souleymane de changer de vie. Ce qui m’intéresse avec ces deux personnages, c’est de ne pas les enfermer dans des sociotypes, qu’ils ne soient pas des victimes. Dans mon parcours de journaliste, et surtout sur cette thématique, j’ai rencontré des gens complexes, ni bons ni mauvais, mais entre deux eaux. Marie et Souleymane se devaient d’être ambigus et complexes, eux aussi. Ils ont eu des parcours de vie différents, mais ils sont tous les deux dans une survie économique et émotionnelle. Ce sont deux personnes instinctives qui vont se reconnaître et c’est cet instinct de survie qui va sceller entre eux ce pacte faustien au début du film. « Que ferais-je à leur place ? » est une question que je me suis souvent posée. La survie est indissociable de la question morale dans des parcours de vie comme les leurs.

Que permet la fiction de plus que le documentaire pour vous ?

Quand on part en reportage, on est toujours tributaire des rencontres du réel, des gens interviewés, des décors existants. Avec La tête froide, j’avais envie de créer un univers, des personnages, d’y amener du romanesque, de l’intime. De plus, cette histoire aurait été compliquée à raconter en documentaire de par son côté clandestin. Elle n’aurait sûrement été possible que de façon parcellaire et donc frustrante. Les documentaires que j’ai réalisés sont durs émotionnellement, parfois violents. Dans la fiction, il y a une maîtrise du récit qui permet de mettre un peu de distance pour pouvoir continuer à faire vivre les thèmes qui me sont importants.

Quelle place ont tenu dans votre esprit ces nombreuses images de migrants que les médias ou réseaux sociaux véhiculent ? Vous en êtes-vous affranchi pour atteindre une relative épure en vous centrant sur vos personnages ? 

La migration fait partie de l’histoire de l’humanité ; c’est un sujet d’actualité prégnant depuis une dizaine d’années et cela va l’être encore plus dans les prochaines. Des dizaines de millions de personnes sont déplacées dans le monde. La notion de frontière irrigue l’actualité en permanence, que l’on soit pour ou contre. Mais je n’avais pas envie de faire un film contenant un discours global ou moralisateur, juste de raconter une histoire singulière. Je suis persuadé qu’il faut sortir d’un prêt-à-penser. Les migrants forment une masse souvent anonyme dans les médias. 

Comment avez-vous choisi vos décors et notamment l’habitat de Marie ? 

Nous avons tourné à Briançon, qui est une zone de passage des migrants très fréquentée depuis plus d’un siècle et encore plus depuis une dizaine d’années avec les différentes crises migratoires. La ville et ses alentours, les cols, les routes de montagne forment un ensemble que je trouvais intéressant tant au niveau du climat que de la géographie. La plupart des décors sont assez fantomatiques, avec peu de traces humaines. Ces grands espaces ont un côté interlope dans lequel on peut imaginer beaucoup de choses. C’est aussi avec ça en tête que nous avons choisi d’installer Marie dans ce camping un peu perdu, posé au milieu de l’immensité des montagnes. On se demande qui peut vivre ici. Ce sont souvent des personnes échouées, qui ont connu des accidents de la vie comme Marie. Elle se retrouve dans ce mobil-home qui appartenait à sa mère et dont rien à l’intérieur n’a changé depuis des décennies. Avec ma cheffe décoratrice, Charlotte de Cadeville, nous voulions qu’il reflète l’état intérieur de Marie, sa fragilité, au cœur d’une nature oppressante. Ce mobil-home raconte son état de précarité, mais il représente aussi un refuge pour elle et va également en devenir un pour Souleymane.

Pourquoi ce titre ?

J’ai mis assez longtemps à le trouver ! Marie, dans ses différentes décisions, est impulsive ; elle agit et réfléchit après coup aux conséquences, mais au moment crucial du film, elle réussit à garder la tête froide pour les sortir, Souleymane et elle, de cet enfer blanc.

Drame de Stéphane Marchetti. Propos reccueilli par Rachel Bouillon. 3,2 étoiles Allociné.

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