Haoui.com

N'avoue jamais


Après 50 ans de mariage, François Marsault, général à la retraite, est encore fou amoureux d’Annie, sa femme. Lorsqu’il découvre qu’elle l’a trompé 40 ans plus tôt, son sang ne fait qu’un tour. Afin de laver son honneur, une seule solution : la quitter et partir manu militari retrouver Boris, l’ancien amant, pour lui casser la figure. Mais à son âge, l’affaire n’est pas si simple.


Entretien avec le réalisateur, Ivan Calbérac.

D’où vous est venue l’idée de ce film ? On dirait presque une histoire vraie…

Absolument, à l’origine c’est une histoire vraie. Tout est parti d’un article de presse. Il y a quelques années, en Italie, un Sicilien âgé de 92 ans a découvert, dans son grenier, des lettres d’amour destinées à sa femme, datant de plus de 70 ans… Mais une époque où cet homme était déjà marié avec elle. Ne réussissant à lui pardonner cet adultère pourtant si ancien, il a demandé et obtenu le divorce, ce qui avait fait de lui le plus vieux divorcé d’Italie. Cela lui avait valu les honneurs de la presse nationale. Cette histoire m’a beaucoup fait rire, et touché aussi. Mettre en scène un personnage de 90 ans me paraissant difficile, j’ai commencé par rajeunir le personnage principal.

Pourquoi avez-vous fait de votre héros un militaire ?

C’est une idée qui m’est venue intuitivement, pour incarner et crédibiliser la posture radicale que le protagoniste va afficher suite à l’adultère de sa femme, et sa très forte raideur psychologique. L’univers militaire, qui ne transige ni avec le respect de la tradition et ni avec celui de la parole donnée, m’a semblé tout à fait adapté. Ce genre de profil, pour un scénariste de comédies, peut s’avérer très inspirant, surtout si, à l’instar de François (le personnage principal) au début du film, ils n’ont pas totalement conscience de leurs défauts et obsessions. Ça permet en outre une compréhension rapide du spectateur, on a tout de suite les codes. Après, le travail de l’auteur va être de nuancer, de composer un personnage particulier, unique.

Vous avez fait de cet inflexible militaire un homme très amoureux de son épouse, Annie…

J’ai eu envie d’écrire avant tout une histoire d’amour. L’adultère de sa femme ne constitue pas seulement pour François un affront, mais surtout, un vrai traumatisme amoureux, une blessure de cœur. Ce qui, malgré sa raideur, le rend touchant et intéressant. Tout le monde a vécu une blessure d’amour à un moment ou à un autre. Tout le monde a été jaloux. Ce qui est remarquable chez lui, c’est sa façon extrême de vivre cette jalousie, comme une loupe révélatrice de la nôtre, comme s’il se permettait ce que la plupart d’entre nous n’avons pas osé entreprendre : obtenir réparation à tout prix. Derrière la comédie, N’AVOUE JAMAIS soulève d’ailleurs, en filigrane, un questionnement : le temps a-t-il, oui ou non, le pouvoir de cicatriser les blessures et de changer la perception d’une situation ? Pour la justice, qui a institué les délais de prescription, la réponse semble être « oui». Pour Annie, qui n’arrête pas de répéter à son époux qu’une amourette vieille de 40 ans ne mérite même pas d’en parler, c’est «oui» aussi. Mais pour François, c’est un grand «non» ! Chez lui, le temps ne fait rien à l’affaire. La prescription est une notion qui ne lui parle pas du tout. Une faute reste une faute. Il n’y a ni adoucissement, ni oubli et donc, pas de pardon possible à priori. L’ironie de l’histoire, c’est que plus il va chercher à se venger, plus il va s’embourber, vivre cauchemar sur cauchemar. 

Une petite parenthèse pour nous expliquer le titre à la fois impérieux et énigmatique de votre film…

Dans cette histoire, tout le monde a un secret, quelque chose à cacher. Des histoires sentimentales passées, et laissées sous silence, pour Annie, mais aussi pour François, une orientation sexuelle pour Capucine. Parfois il s’agit un secret sur soi dont la personne n’a elle-même pas conscience, comme par exemple les origines génétiques du plus jeune fils. N’AVOUE JAMAIS est en outre le nom d’une vieille chanson de Guy Mardel, inscrite dans l’inconscient collectif. C’est à mes yeux un titre qui interpelle, drôle, prometteur, ludique, et aussi, comme vous le dites, mystérieux. Il faut attendre d’ailleurs la toute fin du film pour en saisir la vraie signification… Quand la chanson de Mardel surgit enfin ! Un dénouement, je l’espère, plus ironique et plus irrévérencieux que celui auquel on s’attend. 

Vous avez tourné dans le Midi méditerranéen. Est-ce parce que vous affectionnez la luminosité de cette région ?

Quand on tourne en automne, comme c’était le cas, un film où les extérieurs ont de l’importance, il vaut mieux s’installer dans des régions où la météo est en général favorable. Mais pour ce film, ce n’était pas la raison majeure. J’avais envie de faire un film ensoleillé, une comédie qui respire l’insouciance et la gaieté et dans laquelle on ait envie de vivre. J’avais envie de proposer aux spectateurs une heure et demie d’évasion, de légèreté, de malice. Et puis je souhaitais aussi être fidèle à l’Italie méditerranéenne où s’était passé le fait divers à l’origine du scénario. Nice est devenu pour moi un personnage du film. Avec ses façades multicolores, la ville a un côté presque irréel. Et la comédie est une déformation assumée de la réalité. 

Les musiques, ont toujours eu beaucoup d’importance dans vos films. Dans celui-là, elles en ont particulièrement…

Les musiques donnent le ton, la couleur du film, un message émotionnel immédiat, au-delà des mots. Celle, à la fois sautillante et romanesque du début de N’AVOUE JAMAIS est l’ouverture idéale : elle annonce la tonalité de mon histoire, et décrit l’univers du protagoniste… Classique, mais sur le point de vaciller… Quant à cette chanson de Brigitte Bardot, «Ciel de lit» avec ses paroles ingénues… « J’ai un amant pour le jour et un mari pour la nuit… J’ai un amant pour l’amour et un mari pour la vie…», c’est un condensé si parfait de l’intrigue qu’il était hors de question qu’elle n’y figure pas. Je la fais écouter à plein volume par Sabine Azéma sur l’autoradio de la voiture conduite par son mari… à la mine déconfite. Il y a aussi la magnifique chanson de Bécaud, « Je reviens te chercher» à laquelle l’histoire donne un double sens… Qui revient chercher qui ? 

Même si vous lui avez insufflé de la romance, de l’émotion et du fond, N’AVOUE JAMAIS est une comédie malicieuse et légère qui respire le plaisir que vous avez eu à la faire. A travers elle, avez-vous voulu envoyer un message ?

Non, mon film n’a pas vocation à envoyer des messages. Il se veut comme un moment de pur plaisir, de rire, d’émotion aussi. C’est l’histoire, que j’espère drôle et touchant, d’un homme qui va s’humaniser, en assouplissant sa rigidité, en arrêtant d’idéaliser la violence qu’il a lui-même subie. On vit dans un monde tellement désespérant qu’un des rôles des artistes peut être de produire des œuvres qui redonnent de l’espoir et réconcilient un peu avec la nature humaine, parfois si sombre et si complexe. J’aime l’idée de participer à ça. Même si ça peut sembler à contre-courant de la morosité ambiante. Et ça passe parfois par des prises de consciences personnelles. Si j’ai raconté N’AVOUE JAMAIS sur le mode de la comédie, c’est parce que j’ai pensé, qu’en plus du plaisir que les spectateurs allaient (je l’espère) en tirer, l’histoire aura peut-être sur eux un doux effet cathartique, et que ça leur chuchotera l’envie, à l’instar de son protagoniste, de cheminer en eux-mêmes, et de s’ouvrir un peu aux autres.

Comédie de Ivan Calbérac. Propos recueilli par Dominique Segall. 3,7 étoiles AlloCiné.

">