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Pas de vagues


Julien est professeur au collège. Jeune et volontaire, il essaie de créer du lien avec sa classe en prenant sous son aile quelques élèves, dont la timide Leslie. Ce traitement de faveur est mal perçu par certains camarades qui prêtent au professeur d’autres intentions. Julien est accusé de harcèlement. La rumeur se propage.

Entretien avec le réalisateur, Teddy Lussi-Modeste.

Le film est inspiré d’un fait divers qui vous est arrivé. De quoi s’agissait-il ?

Le film s’inspire en effet d’une épreuve que j’ai dû traverser il y a quelques années. Dans le collège où j’étais alors professeur, la conseillère principale d’éducation me tend un jour une lettre écrite par une de mes élèves. La jeune fille m’accuse de la regarder en touchant ma ceinture. Elle a 13 ans. Les choses s’emballent. Un de ses grands frères me menace de mort. Un autre l’amène porter plainte contre moi. Je refuse de me mettre en arrêt car j’y vois bêtement un aveu de culpabilité. Je sors chaque jour du collège en me demandant si on va me casser les jambes. Je vis dans la peur et la honte, la culpabilité aussi, je ne veux pas que les collègues qui m’escortent jusqu’au métro soient agressés par ma faute. 

Dans votre film, la parole de Leslie et celle de Julien sont recueillies par la CPE. Pourtant, cela ne suffit pas à régler le problème. Comment expliquer cet engrenage qui se met en route malgré tout ?

Je crois que le film ne cesse de montrer qu’il faut concevoir des protocoles plus efficaces pour mieux écouter la parole des victimes… Par ailleurs, la spécificité de l’histoire que je raconte est que Leslie et Julien sont tous les deux victimes… Et même Steve, le frère de Leslie, est victime : à 20 ans, il se retrouve à porter seul une famille sur ses épaules. De la même manière, je ne voulais pas traiter le personnage de Leslie comme une menteuse. C’est quelqu’un qui s’est trompé. Elle a vraiment pensé que son professeur voulait la séduire. Et on a construit au scénario comment cette idée s’était faite jour dans son esprit. C’est un choix moral que nous avons fait très tôt, Audrey et moi. Tous les personnages sont pris au piège d’une situation qui dégénère et dont il est impossible de sortir. Tous, de Julien jusqu’à Steve, souhaiteraient annuler cette situation. Mais chacun fait face à l’irréversible... Je ne voulais condamner aucun personnage. Aucun ne devait être réduit au silence. Chacun devait pouvoir être entendu. Je voulais qu’on puisse comprendre le point de vue du chef d’établissement et celui des autres professeurs. 

Le spectateur a le sentiment d’assister à un engrenage qui fonce vers la tragédie. Souhaitez-vous que votre film fasse office de sonnette d’alarme ?

Mon film est un cri. Et s’il y a cri, c’est qu’il y a espoir. Car un cri est fait pour être entendu. La société, pour être société, a plus que jamais besoin que se fasse cette transmission entre les professeurs et les élèves. Pour faire société, il faut un socle commun. On a besoin aujourd’hui de se rassembler autour de valeurs humanistes, celles qu’on apprend précisément à l’école. Ce sont ces valeurs qui nous permettront de déconstruire tous les discours de haine qui traversent la société et qui tentent de nous monter les uns contre les autres. 

Quels ont été vos choix de mise en scène pour représenter l’univers du collège ?

Très vite, je me suis dit que le film devait épouser la forme du thriller, un thriller qui ne cesse de se tendre jusqu’à l’implosion finale. Si je nevoulais pas coller aux événements tels qu’ils s’étaient déroulés dans la réalité, je voulais coller aux émotions qui m’avaient traversé. La menace devait gronder, autour de Julien, et en Julien. Chaque pas dans un couloir du collège, chaque regard posé sur un élève, chaque doigt levé, devaient devenir l’enjeu d’un dérapage, d’une violence. Des gestes autrefois anodins, saluer quelqu’un, entrer dans une école, marcher vers le métro, devaient devenir l’enjeu d’une tension. Il fallait filmer les élèves, la salle de classe, la cour de récré, les couloirs, comme autant de lieux de combats. 

Pour la musique, vous avez fait appel à Jean-Benoît Dunckel, cofondateur du duo Air. Quelles intentions lui avez-vous données ?

C’est la première fois que je travaillais avec lui. J’ai immédiatement eu une confiance absolue en sa sensibilité parce que lui aussi avait été professeur avant de connaître le succès avec Air. Je voulais que Jean-Benoît se laisse porter par le film et me propose sa vision. Je lui ai tout de même parlé de mon désir d’électronique et de guitares shoegaze, ces guitares aériennes, cristallines, écorchées, que l’on retrouve chez Slowdive ou My bloody Valentine. Cette dimension à la fois électronique et acoustique, les résonances que nous laissions déborder en fin de séquence, accompagnent la trajectoire du personnage principal. Parfois lyriques, parfois tendus, les thèmes composés par Jean-Benoît ont permis au film de se révéler à lui-même. 

Drame de Teddy Lussi-Modeste. Propos recueilli par Hassan Guerrar et Julie Braun. 3,9 étoiles AlloCiné.

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