Haoui.com

 

Last dance


Retraité contemplatif, Germain se retrouve soudainement veuf à 75 ans. Il n’a même pas le temps de souffler que sa famille s’immisce dans son quotidien : visites et appels incessants, repas organisés à l’avance... Sa vie devient réglée comme une montre suisse ! Mais Germain a l’esprit ailleurs. Honorant une promesse faite à son épouse, il est propulsé au coeur d’une création de danse contemporaine.     

 

Entretien avec la réalisatrice Delphine Lehericey 

Vos précédents films sont des drames.Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire une comédie ? Considérez-vous que Last Dance se situe dans la lignée de votre parcours ou comme étant un travail de rupture ?
L’envie de faire une comédie existait déjà avant de réaliser mon précédent film, Le Milieu de l’horizon. J’ai toujours considéré que la comédie est le genre le plus difficile à écrire, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une comédie réaliste où le rire ne surgit pas forcément des dialogues, mais plutôt des situations. La vie est chargée d’absurdités dont on peut s'inspirer largement ! Même lors de moments tragiques, il y a moyen de rigoler. Lors de la sortie du Milieu de l’horizon, j’ai rencontré beaucoup de spectateurs très émus. Certains m’ont avoué qu’il était difficile pour eux d’aller au cinéma en sachant qu’ils allaient probablement pleurer. Choisir d’aller voir un drame, et en conséquence pleurer et être triste, semblait représenter à leurs yeux une démarche supplémentaire à assumer pour se rendre dans une salle de cinéma. Ma famille me répétait souvent : « Mais pourquoi tu ne fais pas de comédie ? On aurait plus envie d’aller au cinéma ! ». En pleine crise COVID, qui correspond aussi à une crise générale du cinéma, je me suis dit que j’allais écouter ma sœur et ma mère, et tenter de réaliser un film que les gens ont envie d’aller découvrir. Rire et pleurer sont pour moi des émotions qui ont la même valeur : je perçois donc Last Dance ! comme une œuvre qui s’inscrit dans la continuité de mes précédentes réalisations. Ce n’est pas de la pure comédie, mais un mélange d’émotions tristes et de pulsions de vie, de larmes et de sourires, de combativité et de résilience. À l’origine de mon envie de réaliser des films, il y a le désir de générer des émotions. Parvenir à émouvoir les autres relève presque d’un acte militant. Car l’émotion nous bouscule, nous fait bouger, nous pousse à changer de positionnement idéologique. C’est pour cette raison que je fais des films.

Pourquoi la danse contemporaine ?
Parce que je l’adore ! Avant de réaliser des films, j’ai fait de la scénographie pour des spectacles de danse contemporaine et de Hip Hop. J’ai beaucoup filmé les danseuses et les danseurs, leurs corps en mouvement. Je pense que tout le monde peut danser ! La danse, c’est en effet un art extrêmement inclusif, un art de soi-même : faire face à soi-même, comme suspendu, et... lancer un mouvement. C’est une très belle métaphore de la vie. La danse permet de se donner un espace, souvent rare aujourd'hui, pour se rencontrer. Il suffit de se laisser aller. À ce titre, je trouve que cette expérience a quelque chose à voir avec celle du deuil : accepter sa tristesse, accepter le vide, vivre des émotions et puis... on verra bien ! Par ailleurs, il y a des différentes façons d’aborder la danse contemporaine et certaines chorégraphies ont un vrai potentiel comique qui sont à la fois mortellement chiantes et fabuleusement drôles. Avec La Ribot, nous voulions jouer sur cette dualité. Elle aborde son métier de chorégraphe avec beaucoup de second degré. Ses créations sont très sérieuses, très construites. Elles sont solides et passionnantes. Mais elle laisse toujours des interstices où le sérieux n’a plus sa place.Travailler avec elle sur les chorégraphies de Last Dance a été tout simplement fantastique.

Justement, diriger une metteuse en scène, une créatrice aussi exigeant sur le plateau qui en plus joue son propre rôle, comment cela s’est-il passé ?     
Je connaissais son travail de chorégraphe, mais je ne savais pas si La Ribot pouvait jouer la comédie, jouer au cinéma ce qui est différent de la scène. Or, il s’avère qu’elle est une excellente actrice ! Durant tout le tournage, elle a été d’une extrême générosité : non seulement, elle a adapté et créé des chorégraphies pour les besoins du film, mais elle s’est aussi réinventée en jouant son propre rôle. Nous avions envie de cette approche sur Last Dance que La Ribot puisse travailler avec ses propres danseuses et danseurs et rester fidèle à elle-même tout en évoluant dans un cadre le tournage d’une action qu’elle ne connaissait pas du tout et qui lui apportait de nouvelles choses, et peut-être de nouvelles libertés. Sans oublier qu’elle a dû accompagner et cadrer toutes les actrices et tous les acteurs, qui n’étaient pas forcément danseurs ! Pour moi, travailler avec elle a été un cadeau génial. Sa générosité, son enthousiasme et, surtout son talent ont fait de notre rencontre une source de plaisirs et d’inventions.

Une des particularités de Last Dance ! réside précisément dans la rencontre entre ces deux mondes : ceux du cinéma et du spectacle vivant. Est-ce que cela a représenté un défi ? Comment les acteurs et les danseurs se sont-ils nourris les uns des autres ?                                   
Je savais que c’était un projet ambitieux, et il a parfois été difficile de coordonner ces deux mondes. « Mon groupe » et celui « de » La Ribot n’ont en effet pas toujours été faciles à mélanger car ils ont découvert des façons différentes de travailler. Les premiers ont dû faire avec les contraintes de la scène et celles qu’implique la danse tandis que les deuxièmes ont dû se confronter à la lourdeur et à la lenteur du dispositif cinématographique... Heureusement, toutes et tous se sont tout de suite appréciés : les comédiens et comédiennes se sont pliés au jeu des répétitions en amont avec La Ribot pour apprendre à danser, à bouger, à utiliser leur corps. Et en même temps, les danseuses et danseurs ont accepté d’être dans une guration extrêmement active.Ce tournage a été une découverte pour les uns comme pour les autres. Une expérience qui me donne envie de réaliser d’autres films comme celui-ci où des univers se télescopent. Ce qui m’a enthousiasmée finalement c’est d’être au cœur d’une vraie troupe, le temps du tournage.

Comment s’est passée la rencontre avec François Berléand ?
François Berléand est fantastique humainement et c’est un merveilleux acteur. Il prend le risque de paraître « ridicule » et, en conséquence, ne l’est jamais. Il ose. Et c’est magique. Cette approche du jeu correspond à ma vision du spectacle vivant : il faut accepter d’être sur scène, de ne pas savoir exactement ce qui va se passer à la minute près, de ne pas tout maîtriser ou réussir tel qu’on se l’imaginait. François Berléand vient aussi du théâtre, il a une carrière énorme et une aisance incroyable. C’est aussi grâce à cela qu’il est parvenu à créer un personnage aussi attachant, vrai et émouvant. J’ai envisagé Germain presque comme un personnage clownesque. Il devait être très généreux et, avec quelques petits gestes, mettre de bonne humeur le public. Au fond, le film que je voulais faire, c’est cela : rendre les gens heureux. Quand François Berléand a lu le scénario, il m’a tout de suite appelée : son envie d’incarner Germain a été immédiate. Le tournage a parfois été éprouvant avec des séquences de danse très longues et fatigantes et il lui arrivait de râler de temps à autre, mais toujours avec beaucoup d’amour ! J’ai été impressionnée par sa force de proposition et son implication sur le film. Il n’a jamais rechigné à refaire, à tenter différemment, à essayer. Ce petit jeu était amusant. Tout le tournage s’est d’ailleurs déroulé dans une ambiance cordiale et bienveillante. De toute manière, je ne peux travailler que dans la bienveillance. 

Comédie de Delphine Lehericey. Propos reccueilli par Rachel Bouillon. 3,5 étoiles Allociné.

">