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àma Gloria


Cléo a tout juste six ans. Elle aime follement Gloria, sa nounou qui l'élève depuis sa naissance. Mais Gloria doit retourner d'urgence au Cap-Vert, auprès de ses enfants. Avant son départ, Cléo lui demande de tenir  une promesse : la revoir au plus vite. Gloria l'invite à venir dans sa famille et sur son île, passer un dernier  été ensemble...

  

Entretien avec Marie Amachoukeli

Le film est dédié à Laurinda Correia, qui est elle ?
Laurinda est la femme qui s’est occupée de moi quand j’étais petite, elle était la concierge de l’immeuble où je vivais. Elle était issue de l’immigration portugaise, et j’ai vécu une grande partie de mon enfance dans sa loge avec ses enfants. Quand j’avais six ans, elle m’a annoncé qu’elle retournait au pays avec son mari pour ouvrir un établissement et refaire sa vie auprès des siens. Ça a été la première grande déflagration de ma vie. Aujourd’hui, on est toujours en contact, on s’envoie des cartes, elle me souhaite mes anniversaires et quand je vais dans sa maison au Portugal il y a des photos de moi au milieu de celles de ses enfants et petits-enfants. Elle continue de m’appeler « ma fille ». Avec ce film, j’avais envie de raconter la place de quelqu’un qui s’occupe d’un enfant pour gagner de l’argent car c’est son travail, et comment parfois cela déborde. Dans notre société, où la place de la mère est sacralisée, je crois que c’est tabou de dire qu’il n’y a pas que les parents qui peuvent avoir un amour débordant pour leurs enfants, ou qu’à l’inverse un enfant peut ressentir cet amour-là, absolu, pour une personne qui n’est pas son parent. Tu ne le dis même pas à ta propre famille. C’est un amour secret, presque clandestin, qui n’est jamais formulé. Et justement parce qu’il est secret, j’ai eu envie de le raconter.

Vous avez eu envie de faire un « nanny movie » qui ne serait pas une comédie ? 
Le principe dramaturgique du film, c’est l’amour impossible, secret et tabou, donc le mélo. Avec une série d’oscillations violentes entre des moments de bonheur fou et des moments de mélancolie absolue. Donc oui, j’ai voulu faire un mélo. Car j’adore aussi Loin du Paradis de Todd Haynes ou encore les films de Douglas Sirk que je regardais avec ma grand-mère, des larmes dans les yeux et des mouchoirs dans les poches.

Cette relation « mère-fille » est doublée d’une autre relation taboue : le rapport nord-sud...
Gloria est ce qu’on appelle une migrante économique : elle est venue en France pour travailler et subvenir à ses besoins. C’est le tabou d’une relation désaxée, de l’héritage de la colonisation qui a fait la domination d’un continent sur un autre. J’ai d’ailleurs tenu à montrer qu’il est ici question d’argent, sans le mettre sous la table, au prétexte qu’on parle d’amour. Du coup je pose la question à plusieurs endroits dans le film. Est-ce que c’est un amour tarifé ou un vrai amour ? Est-ce que c’est un travail ou une vocation tendre ? Il existe une injustice par rapport aux enfants de Gloria restés au Cap-Vert. C’est un cas qu’on retrouve en permanence : des enfants qui grandissent sans leur mère parce qu’elle est obligée de se déplacer pour subvenir à leurs besoins. Qu’est-ce que ça questionne, ici et là-bas ? Pourquoi on en parle si peu alors que c’est si commun ? Qu’est-ce qu’on ne veut pas regarder ?

Le récit du film est construit du point de vue d’une petite fille de six ans à peine… Oui, c’était fondamental pour moi. La question du regard, je me la suis énormément posée, en amont, en aval, pendant le tournage et le montage. C’est le point de vue d’une enfant et non celui du documentaire. Ce qui primait pour moi était de travailler le hors-champ. L’idée était de resserrer la vision de l’enfant sur ce qu’elle ressent et de recentrer tout le film à travers ce prisme. Et donc dans le film ce qu’on voit du Cap-Vert, c’est surtout ce qu’on en imagine, ce fameux hors-champ. Ça me permet de ne pas avoir un discours de carte postale, ni prétendument réaliste, et d’être avant tout sur le terrain des sensations et du sentiment.

Le regard de cette petite fille est particulier car elle porte des lunettes, c’est même la première chose qu’on découvre d’elle. Pourquoi ?
Je suis myope comme une taupe, ce qui, j’imagine, crée une manière particulière de retranscrire le monde, notamment au cinéma. Et puis quand on est myope, on appréhende les choses moins par le visuel que par le mouvement, l’auditif, le kinesthésique… J’ai tenu à ce que cette petite enfant à lunettes perçoive le monde de cette façon, multiple et sensorielle. C’est ainsi que j’ai imaginé la mise en scène. Elle écoute beaucoup, il y a beaucoup de plans sur son oreille, elle touche les objets et les matières. Louise, qui joue Cléo, n’est pas du tout myope, elle a joué la myopie. Elle était hyper fière d’avoir des lunettes, elle en prenait soin comme la prunelle de ses yeux. Dès qu’elle les mettait, elle rentrait dans son personnage. Elle devenait Cléo.

Entre Gloria et Cléo, c’est aussi une histoire de regards…
Je voulais que Cléo cherche Gloria du regard. Tout le sujet du film, c’est comment on se regarde, d’où on se regarde. Même s’il y a la distance, les années, la vie, on continue de se regarder. Parce qu’on s’est aimé. Dans le fond, Cléo sait qu’elle pourra toujours se retourner vers cette femme, ou du moins vers son souvenir. C’est comme dans la chanson du film, Mes yeux dans ton regard, de Nilda Fernandez. C’était mon voisin quand j’étais petite, il habitait dans le 18ème, je le croisais tout le temps. Un homme tout petit avec des cheveux très longs et une voix très androgyne. Laurinda l’écoutait dans sa loge, il était une star à l’époque. J’adore qu’il dise son numéro de téléphone dans la chanson, c’est complètement hors temps, et tellement mélo.

Drame de Marie Amachoukeli. Propos recueillis par Baptiste Etchegaray. Nomination à la semaine internationale de la critique 2023. 3,8 étoiles AlloCiné. 

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