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L'Abbé Pierre - une vie de combats


Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône.

Entretien avec l'acteur Benjamin Lavernhe 

Que représentait pour vous l’abbé Pierre avant de vous lancer dans cette aventure ?

Des souvenirs fugaces de jeunesse. Des images d’un homme d’un certain âge en colère, possédé par sa révolte, et vibrant de ses convictions face à une misère qu’il ne pouvait se résigner à accepter. Un homme toujours entouré, que ce soit par des compagnons et dirigeants d’Emmaüs ou encore par des hommes et des femmes exilés ou réfugiés auprès desquels il venait solidairement passer la nuit dans la froideur d’une Église. Une attitude singulière aussi quand je le voyais sur les plateaux télé, parlant souvent les yeux fermés dans un état de béatitude, comme en profonde méditation. Ce qui fait écho à son nom de scout, son totem : « castor méditatif » qu’il portait si bien. Il le disait lui-même, il a passé toute sa vie à bâtir et à méditer. Et si, au final, sa vocation, s’est plus résumée à l’action qu’à la méditation, il a toujours assuré que rien de tout cela n’aurait été possible, sans ses huit années passées chez les Capucins. 

Qu’est-ce qui vous avait frappé à la lecture du scénario ?

Je vois immédiatement le film multiple que Frédéric a envie de faire. Un grand film de cinéma comme une épopée, l’abbé Pierre a eu une vie totalement romanesque à chapitre, et en même temps un grand film de message et de paix capable de toucher en plein cœur la sensibilité des gens sans jamais être militant ou moralisateur. Je suis ému aussi par le point de vue de Frédéric, son angle d’attaque, son désir de parler de l’homme au-delà de l’homme d’Église. Pour cela une voix-off, celle de l’abbé vieux, encadre le film au début et à la fin et nous plonge d’emblée dans son cerveau et ses tourments, au plus près de l’homme et de sa complexité. Je perçois qu’il ne s’agira en rien d’une hagiographie, qu’on va approcher ses zones d’ombre, que ça soit son égo, son caractère tempétueux parfois, son rapport au désir. Je vois aussi que certaines phrases qu’il a prononcées et qui ont fait bondir à l’époque comme « je préfère la violence à la lâcheté » sont dans le script. Je lis donc un scénario qui a du relief, qui ne lisse pas, qui n’élude pas et qui montre les contradictions de l’abbé. Cette obsession d’être un grand homme et d’avoir un grand destin. 

Comment débute alors le chemin vers ce rôle ?

Ce rôle m’a très vite concerné. C’est de l’ordre de la responsabilité. Il faut honorer la mémoire et rendre justice à ce « combattant du quotidien ». En acceptant aussi qu’on fait un film de cinéma avec certaines libertés, une licence cinématographique en quelque sorte, on n’est pas dans le documentaire. Le premier travail consiste à approcher cet homme très énigmatique, très complexe. Le rencontrer par le plus de bouts possibles pour qu’il devienne un compagnon de route comme un ange gardien au-dessus de mon épaule. Pour cela, je m’appuie sur l’immense documentation qu’avait mis Frédéric à disposition, que je complète par des lectures personnelles, des visionnages à haute dose d’archives de l’INA. Ce qui m’intéresse aussi beaucoup c’est la manière dont Frédéric m’en parle, comment lui le voit et ce qu’il veut en dire. Pour incarner l’abbé Pierre, je dois comprendre son caractère, sa complexité, sa sensibilité, par le prisme, la sensibilité du metteur en scène, comment lui veut le présenter au futur spectateur. 

L’un des sommets du film, passage obligatoire donc attendu, c’est l’appel de l’Hiver 54. Est-ce que vous le vivez comme un film dans le film ?

J’avais le trac évidemment. Mais il était bien pensé dans le plan de travail, situé aux deux tiers du tournage, dans sa deuxième partie, en été. Nourri de ce que j’avais pu acquérir, j’étais prêt à l’affronter. Ce discours peut être fait de mille manières différentes. Et avec Frédéric, on a décidé de partir sur quelque chose de pudique et concentré. Comme une prière, comme un murmure face au micro de la radio, et pas de manière lyrique et enflammée, comme on peut spontanément l’envisager. Tout simplement parce qu’à ce moment-là, l’abbé Pierre n’a aucune idée de ce que cet appel va produire. J’ai voulu jouer au plus près cette sincérité-là. 

Qu’avez-vous ressenti en voyant le film terminé ?

J’ai surtout hâte de le revoir ! (Rires) Car je l’ai découvert dans une version de travail, non étalonnée, sans la musique définitive avec 600 plans truqués à réaliser et avec 40°C de fièvre ! Mais, malgré tout, ça m’a remué, et j’ai vu qu’on avait fait un film important. J’ai réussi à me regarder et à me dire que j’étais fier de mon travail et que peut être l’abbé serait heureux qu’on parle de son action en ces termes, Et ça, ça n’a pas de prix.

Drame de Frédéric Tellier. Propos reccueilli par Apolline Jaouen. 4,1 étoiles Allociné.

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