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Les petites victoires


Entre ses obligations de maire et son rôle d'institutrice au sein du petit village de Kerguen, les journées d’Alice sont déjà bien remplies. L’arrivée dans sa classe d’Émile, un sexagénaire au caractère explosif, enfin décidé à apprendre à lire et à écrire, va rendre son quotidien ingérable. Surtout qu’Alice, qui n'avait rien vu venir, va devoir aussi sauver son village et son école…

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Entretien avec la réalisatrice, Mélanie Auffret

Comment est née l’idée de ce deuxième long-métrage ? 
Une partie de ma famille est originaire de petits villages, et j’ai moi-même grandi dans une petite ville. J’ai vu autour de moi ces environnements se transformer, se vider, les familles et les jeunes partir pour des villes plus grandes, plus attractives. La ruralité est une source à histoires. Le thème de la désertification est apparu comme une évidence. Pour être au plus près de la réalité, un travail de terrain était nécessaire. C’est une des étapes dans le travail d’écriture que je préfère. J’ai le sentiment de partir à la rencontre de mon sujet et de mes personnages. J’ai passé du temps avec de nombreux maires de petites communes afin de comprendre les enjeux auxquels ils font face. Puis certaines rencontres nous marquent, ça été le cas avec Fanny Lacroix, maire de Châtel-En-Trièves, une petite commune de 500 habitants en Isère. C’est une mère célibataire à l’énergie débordante, dont la détermination et le courage m’ont tout de suite bluffé. Son parcours m’a d’ailleurs largement inspiré le personnage d’Alice. La particularité du phénomène de désertification, c’est qu’il en provoque d’autres. La fuite des populations vers les grandes villes n’engendre pas seulement une perte d’activité, mais aussi une perte du lien social. Ce sont d’abord les commerces qui ferment et s’éloignent, les lieux de convivialités qui se raréfient, l’accès aux premiers soins qui se restreint, puis les écoles qui ferment… Le combat d’Alice pour maintenir son école ouverte se lie à celui d’Émile, qui souhaite à 65 ans apprendre à lire. Je me suis aperçue en échangeant avec les habitants de ces villages que ce handicap invisible ne leur est pas inconnu. Grâce à ce duo singulier, je tenais une promesse d’histoire et un lieu unique où toute une galerie de personnages allait pouvoir s’exprimer et rendre compte de cette réalité liée à l’isolement de ces petits villages. Il était cependant important pour moi de rester dans les codes du cinéma que j’aime, à savoir la comédie, où le propos, en apparence léger, permet tout de même de donner à réfléchir. 

À quel moment avez-vous pensé aux acteurs qui donneraient vie à cette histoire ? 
Assez rapidement. Même si l’idée de diriger Michel Blanc était plus un rêve qu’un projet. C’est un acteur qui sait tout jouer et peut tout s’approprier, il est juste et authentique. J’étais éblouie de voir comment il s’est raconté l’histoire de son personnage : en le voyant jouer – et même dans ses silences -, je ne voyais pas que la scène mais tout le destin d’Émile. Quant à Julia Piaton, je suis son parcours depuis plusieurs années. C’est une actrice que je trouve incroyable. Je suis très honorée que les petites victoires soit son 1er premier rôle, et je l’espère celui d’une longue série. Elle s’est particulièrement investie pour le rôle d’Alice, effectuant un travail de terrain aux côtés de son cousin, maire d’un petit village normand, ou avec Amélie, institutrice du village du Juch, qui m’a également inspirée. À ses côtés, elle a pu voir comment gérer une classe unique, organiser l’espace avec les élèves, etc…

Composer une classe et diriger autant d’enfants n’est pas simple. Comment avez vous travaillé ? 
Il y a eu plus de 500 enfants castés. Il était important, non pas de choisir les enfants qui deviendraient mes personnages mais ceux qui l’étaient déjà. 80% d’entre eux étaient des petits Bretons qui n’avaient jamais joué la comédie. Le plus difficile à trouver a été le personnage d’Eliott. On sent que c’est un petit garçon dans son monde, qui a du mal à créer du lien avec les autres enfants. Je voulais qu’il soit une projection d’Émile à son âge. Mais une fois que tous les rôles étaient trouvés, il fallait faire vivre cette école, il fallait que cette classe existe. Comme nous tournions pendant l’année scolaire, nous avons mis en place le même système de classe unique que dans le film : lorsqu’ils ne tournaient pas, les enfants suivaient donc les cours avec une vraie institutrice dans le même décor. Grâce à cela, ils ont pu s’approprier le lieu et créer entre eux une unité de groupe. Les scènes de classe ont été tournées dans l’ordre chronologique. La première fois que les enfants ont vu Michel c’est le jour où Émile s’impose sur les bancs de l’école. Ils étaient au début très impressionnés et au fur à mesure du tournage une vraie amitié est née. La caméra a vu naître ces liens. Quant à moi, j’ai beaucoup accompagné les enfants en amont du tournage pour noter sur des carnets des détails sur chacun et intégrer aux dialogues leur manière de parler. 

Les seconds rôles sont aussi bien dessinés que campés. Que pouvez-vous dire sur chacun ? 
En fréquentant différents conseils municipaux durant la préparation du film, j’y ai découvert un panel de personnages très inspirants. Lionel Abelanski joue Saturnin, l’adjoint d’Alice. Il est le visage de tous ces citoyens qui s’investissent énormément pour leur commune. Il n’est jamais le dernier à avoir des idées un peu farfelues pour faire revenir du monde au cœur du village, à l’instar du personnage de Francis, qui est un concentré de plusieurs élus que j’ai rencontré. Cet ancien professeur de latin et de grec n’a jamais été aussi occupé depuis qu’il est à la retraite, il est le bon vivant par excellence. Mais la réalité de la désertification c’est aussi une certaine précarité, que je tente de dépeindre au travers du personnage de Lorène : mère célibataire, sans emploi. Enfin, même si l’on ne voit pas physiquement le père d’Alice, il joue pourtant un rôle important dans le film. Il est l’incarnation des piliers qui disparaissent, lui qui était à la fois le maire et le médecin de Kerguen. Comme dirait Jeannine dans le film, campée par Marie-Pierre Casey, « À cette époque-là, y’avait encore un docteur ! ». Jeannine souffre de la solitude, comme beaucoup de personnes âgées dont l’isolement est parfois inévitable. Le maire pour ces personnes est une figure indispensable, véritable ciment du lien social.

Le périmètre revient à plusieurs reprises dans votre film, que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
Les personnes en situation d’illettrisme fonctionnent grâce à un périmètre. Ils ne s’aventurent pas en dehors, ils prennent un risque en sortant de leur zone et ne connaissent pas le monde extérieur. C’est d’ailleurs un point commun entre Alice et Émile. Émile est emprisonné dans ce périmètre, alors qu’Alice, elle, s’impose de vivre dedans. Ensemble, ils vont ouvrir les frontières et découvrir de nouveaux horizons. J’ai trouvé que c’était une dynamique forte qu’il fallait raconter, et un véritable défi pour la mettre en image.

Où avez-vous tourné ?
Un vrai casting de villages bretons a été passé. Nous avons visité près de 80 villages et Le Juch s’est imposé comme une évidence. C’est un théâtre à ciel ouvert, à l’image de ce que je souhaitais raconter. J’ai été saisie par le contraste entre la beauté de ses ruelles, de sa verdure, de ses bâtiments, et la réalité sociale et économique qui le touche : c’est un village sur le fil qui se bat tous les jours pour maintenir sa cohésion sociale et son attractivité. Au Juch, il y a eu jusqu’à 10 bistros, 2 boucheries, 2 boulangeries. Chez eux aussi, un élu incroyable s’est battu pour que son école reste ouverte. Je suis heureuse de pouvoir dire que la réalité rattrape parfois la fiction. La mairie dans le film, est un bâtiment abandonné depuis près de 25 ans. Grâce au tournage, Le Juch a bénéficié d’une importante couverture médiatique, et ce bâtiment vient d’être racheté pour redevenir un bar !

2 prix et 1 nomination au Festival International du Film de Comédie de l'Alpe d'Huez 2023 (édition 26). 3, 6 étoiles sur AlloCiné.

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